Yann Orpheus Blog

Je vous passe les détails : un coup de trempage, un coup de repoussage des cuticules, un coup de limage, deux coups de pinceau sur chaque doigt, et l’affaire était réglée. Je crois avoir passé plus de temps à installer les éclairages pour prendre les deux photos postées sur Instagram qu’à me faire tripatouiller les mains.
Mon avis à chaud était « j’aime bien, c’est rigolo, et c’est bluetiful ! 💙 » (Le bleu, cette autre petite faiblesse).
La voix de Jeanne Moreau dans Nikita est venu chatouiller mes oreilles : « Il y a deux choses qui sont sans limites. La féminité et les moyens d'en abuser. »
J’ai dû prendre une trentaine de minutes pour observer la nouvelle carrosserie de mes ongles sous toutes les coutures avant de passer à autre chose.

Et puis les jours passent et tu es confronté à autrui, dans les transports et un peu partout ailleurs dans les diverses activités quotidiennes. Tu prends conscience que tu as un truc de pas commun sur toi. Un sourire moqueur en coin, un haussement de sourcil interrogatif ou une grimace à la limite du dégoût dans le métro et là tu sais que ce n’est pas seulement du vernis à ongles que tu portes, mais également une provocation assumée. Tes mains chantent à tue-tête « Ouais, j’en ai rien à carrer de vos normes de genre. Je fais ce que je veux et fuck si ça te pose un problème ! ». Chacun ses petites faiblesses, mais pour beaucoup il s’agit de ne pas pouvoir résister à la provocation. Ils ne peuvent alors s’empêcher de te le signifier, d’un commentaire ou d’une simple mimique. La chose aurait certainement été plus passe-partout avec un vernis noir, comme on peut en voir sur les mains des rockeurs, des gothiques et autres reustas. Le vernis noir sur un homme n’implique peut-être pas autant une orientation sexuelle, le noir suscite peut-être moins ce type de réactions. Je ne sais pas. Mais ce superbe bleu, aussi profond que lumineux, pour des homophobes c’est comme une plume au bout d’une ficelle que tu agites devant les yeux d'un chat. Je ne vais pas dramatiser non plus, il n’y a pas eu de violences réelles. La pire réaction a été un « pfff, n’importe quoi ! » dans le RER B. Un simple « Oui ? Un problème ? » a suffi à clore la discussion en signifiant que j’étais prêt à sortir mes griffes le cas échéant…

Après, il y a eu l’avis de mon bonhomme. « J’aime pas », « Tu vas garder ça longtemps ? », « Tu me dis quand tu veux du dissolvant ^[1] », etc… 😂 Mais, bon, je le connais et j’avais même pris les paris sur son opinion. Du coup, bien évidemment, j’ai fait durer le plaisir plus longtemps que prévu. Obligé ! 😈

Quelqu’un m’a dit :
— Alors, tu te sens plus femme avec du vernis ? Hahaha ! 😆
Et moi de répondre en rajoutant une couche :
— Non. Et pourtant, vu le nombre d’avis non sollicités de mascus sur des choses qui ne les regardent pas, je devrais ! 😂

Je zappe les réflexions positives. Elles ont été plus nombreuses, mais sont moins fun à raconter. Et comme ce billet est déjà trop long...

Les choses les plus drolatiques ont également une fin. Il y a un moment, il faut bien retrouver ses doigts. Cette petite expérience m’a bien amusé. Elle m’a transporté vers ma jeunesse, à l’époque de mes excentricités vestimentaires où là aussi, le regard d’autrui se faisait parfois pesant. Amusé donc, mais pas au point de renouveler l’expérience régulièrement. Et puis, vivre avec la frayeur d’écailler son vernis avec les tâches quotidiennes, non merci très peu pour moi !

Cela dit, il se pourrait que je me laisse tenter à nouveau un jour. Ne serait-ce que pour l’odeur du dissolvant que j’apprécie particulièrement. 👃

Et puis, sans déconner, quand tu envoies chier quelqu’un, le vernis, ça a quand même une sacrée classe ! 🖕😂🖕