De l'utilité des Gayprides

Comme chaque année à l'approche des Gayprides, j'entends ici et là, des homos dire qu'ils n'assisteront pas à l'événement parce qu'ils n'aiment pas l'image de l'homosexualité que donne cette marche dans les médias. La gaypride nuirait ainsi à la lutte contre l'homophobie, à l'avancée de nos droits et j'en passe...Commençons d'abord par un bref rappel historique. C'est quoi une Gaypride?
Tout a commencé le 27 juin 1969 à New York City. A cette époque, la ville n'est pas aussi gay-friendly qu'aujourd'hui et les contrôles d'identité dans les bars et lieux pédés sont coutumiers. Suite à une descente de police au Stonewall (bar maintenant mythique de Greenwich Village), les clients se rebellent et déclenchent une révolte qui durera cinq jours et nuits. La police est contrainte de faire appel aux brigades anti-émeutes pour faire face aux centaines de gays, lesbiennes et trans qui protestent contre les abus de cette discrimination basée sur l'orientation sexuelle.

Craig Rodwell, un jeune militant alerte immédiatement la presse et devient le porte-parole de la cause. Il fonde alors le Gay Liberation Front. Cette association doit très rapidement faire face aux nombreuses critiques d'une certaine classe d'homos qui pensent que pour vivre heureux, mieux vaut vivre caché et que la tolérance viendra de la discrétion et d'une certaine "normalité" respectable. Rodwell leur répond que c'est justement cette attitude qui est la cause du rejet. On réprime ce que l'on craint, on craint ce qu'on ignore. La visibilité devient alors le fer de lance du GLF.
Dans cette perspective, chaque année est organisée une marche commémorative des événements de Stonewall où toutes les tendances sexuelles, toutes les façons de vivre son homosexualité et toutes les associations sont représentées. Stonewall est devenu le symbole de la lutte homosexuelle contre l'oppression de la discrimination.
Il faudra attendre le 25 juin 1977 pour que Paris organise sa première marche qui ne compte alors que 400 manifestants... La barre des 10.000 n'est franchie qu'en 1981, celle des 100.000 en 1996. Signe de l'évolution des moeurs, ce ne sont plus uniquement des homos qui défilent, mais de nombreux sympathisants hétéros gay-friendly rejoignent le mouvement. En constante augmentation, le palier mythique des 500.000 marcheurs a été dépassé pour la première fois en 2001.
Entre-temps, elle a changé de nom. Suite à une sombre histoire de faillite et de propriété du nom, elle s'est finalement appelé la Marche des Fiertés LGBT.
Je continue moi à l'appeler Gaypride. Son nom originel, celui d'après Stonewall.

Question de fierté ?
Beaucoup d'homos souffrent donc de l'image de ces marches. Les médias dans leurs JT et sur la une des quotidiens choisissent en effet de mettre à l'avant-plan les drag-queens, les folles, les trans, les gym-queens bodybuildées et parfois même les SM. N'importe quel cliché plutôt que le petit pédé lambda passe-partout ou le cadre dynamique bien politiquement correct. N'oublions pas que les médias sont à l'affût de sensationnel dans leur quête d'audience et qu'un "personnage" sera plus percutant qu'un pédé tout ordinaire, même si d'année en année, il y a plus de marcheurs en jean-tshirt qu'en costume de scène.
Ce qui gêne ces homos bien-pensants c'est donc d'être assimilé à la folle tordue du grand carnaval homo. J'y vois là une certaine forme d'homophobie. Quand on réclame de la tolérance et des droits pour soi, la moindre des choses est de ne pas exclure les petits copains parce que leurs comportements dérangent.
Par ailleurs, ne pas assister à la marche pour ces raisons constitue bel et bien un moyen de faire diminuer le pourcentage des "homos-classiques"! Faudra pas pleurer après sur la représentativité!

Affiche de la Marche des Fiertés 2005

Mais est-ce vraiment utile ?
Les Gayprides parisiennes ont toujours eu lieu le premier week-end de l'été. Sauf une année. En 1981 où la marche s'est déroulée en avril afin de faire pression sur les élections présidentielles. La gauche soutient le mouvement qui demande que l'âge de la majorité sexuelle soit la même pour les homos (qui devaient attendre 21 ans) que pour les hétéros (18 ans). François Mitterrand, élu en Mai, respecte certains de ses engagements. En juin, le fichage des homos est interdit, l'homosexualité est retirée de la liste des maladies mentales, et l'année suivante, l'âge de la majorité sexuelle est fixé pour tous à 15 ans.
Evolution simple des mentalités ou écoute des mots d'ordres des marches? Car même si l'esprit carnaval domine, chaque année, les ellegébétés défilent sous des revendications. Pour la tolérance, l'égalité ou l'obtention de droit. Au milieu des plumes et des paillettes, le message est repris par de nombreuses associations et finit par atteindre son but.
Il faudra attendre 1999, pour que le contrat de vie commune réclamé lors de nombreuses marches soit enfin présenté au parlement pour être voté sous la forme du Pacs en octobre.
Cette année, le mot d'ordre de la marche parisienne est "Couple et parentalité : l'égalité maintenant!". Message fort et clair imprimé sur les affiches et sur la banderole du carré de tête de marche. Cette revendication sera reprise également dans les reportages des médias.
Je me demande alors ce que les "pédés-classiques-qui-dénigrent-l'intérêt-des-Gayprides" ont fait de mieux pour faire avancer les choses et bouger les mentalités?

Ce sera ma onzième marche cette année. Au fil des manifestions, je me souviens de nombreux moments forts dont entre autres un gigantesque die-in d'Act-Up symbolisant les victimes du Sida. Mais aussi la première présence du PS avant que toutes les formations politiques ne soit au rendez-vous, et la première fois que j'y ai vu Delanoë, bien avant qu'il ne soit maire de Paris. Et comme chaque année, les sourires des enfants dans le petit train de l'Association des Parents (et futurs Parents) Gays et Lesbiens...

Il serait certes présomptueux de croire que les Gayprides seules ont suffit à l'évolution de la tolérance et à l'obtention de ces améliorations. Il ne faut pas minimiser le travail annuel et régulier des associations ainsi que celui des homos bien placés dans les sphères influentes et rouages du pouvoir.
Mais je crois surtout que les moeurs ont changé parce que les homos sont sortis de leur placard, et qu'au quotidien, dans les rues et sur leur lieu de travail, ont montré qu'ils n'étaient pas ces monstres qu'on pouvait craindre. La visibilité comme arme éducative contre la discrimination. En cela, je rejoins tout à fait la pensée de Craig Rodwell.

La Marche des Fiertés destinée à dénoncer les discriminations basées sur l'orientation sexuelle, reste la seule manifestation à laquelle chacun peut participer en apportant le soutien de sa présence.
Nous avons donc le choix. Attendre que les choses bougent d'elles-mêmes et récolter le fruit du travail des autres ou, participer à une fête porteuse d'un message égalitaire de tolérance.

J'ai fait mon choix, faites le vôtre...

NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.

Ce billet a reçu les commentaires suivants :

dom :
Bon, nous aussi on a fait notre choix, t'y vas en bande (hmmmm) ou en solo (cochon) ?
Nous on devrait y retrouver nos chateurs du web devenus potes depuis.
Bon, en tout cas @ bientôt clin d`oeil

Orpheus :
Abandonné par Jièm qui part à la montagne avec son jumeau, je serai donc en solo... mais pas en mode cochon pour autant ! (tu veux le faire flipper là, hein, c'est ça...)
Je retrouverai bien quelques zamis sur place...
Ça m'étonne que la pédéblogosphère n'ait pas fixé de point de rendez-vous d'ailleurs !

Y. :
Tu n'es pas obligé de publier mon commentaire car il n'est pas réellement destiné à tout le monde même si je suppose que mon commentaire-"témoignage" pourra renforcer tes propos. Je ne demande rien, fais comme tu le sens. On verra bien.
Je vais essayer de faire court car quand je commence j'ai du mal à m'arrêter.
Cela va bientot faire un an que tu as posté ton message. Je suis un peu secoué par ton message. Je reviens d'une semaine de stage avec un collègue. Hier je lui ai dit que j'étais gay. Je ne le dis pas trop, surtout au boulot où il ne fait pas bon le dire (dans mon cas précis j'entends). Je le dis à mes amis proches, ma famille ne le sait pas officiellement. Pour donner une estimation, le nombre de personnes qui le savent doit encore être dénombrables (en deçà de 30 ?). Je suis loin de le crier sur tous les toits, je le vis comme je le vis, je ne saurais dire si je le vis bien ou mal, mais il est vrai qu'entre "affiché" et "caché", c'est bien "caché" qui serait le plus proche de la réalité, même si j'ai embrassé mon copain sur un quai de gare, même si je me laisse caresser le bras par lui en public, oui c'est cruel de parler ainsi mais en plus de ne pas être très "fashion victim", je ne suis pas démonstratif (au grand damn de mon ami)...
Pourquoi je réagis ? eh bien parce que je suis tombé sur ton blog (je ne sais même plus comment tellement j'ai fait de rebonds) le premier post que j'ai lu concernait une petite margot imaginaire et l'homoparentalité, pour lequel je n'arrive pas à trancher mon opinion, alors que ma non-paternité est sans doute ce qui m'affecte le plus, bref...) je disais que j'étais tombé sur ton blog, et ... je suis un "hétéro-like". Donc je suis exactement le type à qui s'adresse ta coup de gueule.
Moi qui aime réfléchir sur tout, remettre les choses en cause, raisonner sur le bien fondé de mes propos et pensées, je ne m'étais jamais fait cette remarque sur la gaypride... je disais que j'étais "secoué" parce que oui je me suis vu dans la description des vilains homo "cachés", "hétéro-like", qui nuisent du coup avec leur façon de penser à tous les autres... une précision tout de même, je n'aimerais pas sortir avec un garçon efféminé, avec ce qu'on appelle "une folle", mais je n'ai rien contre - j'ai des amis efféminés, je les aime beaucoup, ce n'est pas parce que je ne suis pas efféminé et ne conçois pas de passer ma vie avec qqun d'efféminé que je rejette ce trait de caractère.
Mais là où je veux en venir, c'est à mon "Merci". Celui qui veut dire que tu as réussi à me faire me remettre moi même en question, là où je ne m'étais pas rendu compte que j'occultais quelque chose d'important. Je ne m'étais jamais rendu compte que l'attitude de ne pas aller à la Gaypride (en particulier, mais de façon plus générale, l'impact d'un seul, sur le groupe entier, dans le sens "moi je ne suis pas une folle, je ne veux pas qu'on me compare à ce type de gays") pouvait avoir une telle signification. Je sais bien que moi tout seul ça ne change rien, mais bon, ça m'a fait réfléchir ; et j'en suis content et t'en suis reconnaissant, moi internaute du vague :)
Tes différents posts m'ont émus, j'ai du en lire une dizaine d'une traite, j'ai eu les larmes aux yeux pour certains. Je ne voulais pas polluer ton site et répondre alors que tout le monde s'en fout de ma vie :) mais là tu m'as apporté quelque chose alors je tenais à t'en remercier.
Je ne sais pas si j'irai à la prochaine gaypride, peut être, sûrement. Dans tous les cas, même s'il est certain que je n'irai pas maquillé, avec des semelles compensées et un boa, je ne refuserai pas catégoriquement d'y aller. (mais j'aimerais mieux le dire à mes parents avant, histoire qu'ils ne l'apprennent pas par la télé... :)
Merci encore.
J'ai laissé mon mail si tu avais qqch à dire, ou si tu voulais répondre car je ne sais pas quand je repasserai sur ton blog ^_^ mais rien ne t'y force, surtout que je ne vois pas trop ce que tu pourrais dire si ce n'est que j'ai été particulirement long :D
Bonne continuation

Orpheus :
Y. : Je le publie tel quel. Parce que les doutes y sont également intéressants. Content d'avoir pu chambouler un peu ta pensée et ébranler quelques convictions. Amicalement.

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