Yann Orpheus Blog

Heureusement, nous avons vite dépassé le stade de la violence. Il y a vingt cinq ans que notre bien-aimée Reine, Dame Edna, a retiré l'hétérophilie de la liste des maladies mentales. On n'enferme plus les réfractaires dans des camps de concentrations, on n'essaye plus de les rééduquer dans des asiles psychiatriques. Néanmoins, quelques bandes de Drag Queens (tendance dure et incontrôlable de la sexualité dominante) refuse toujours le principe de liberté de chacun à disposer de son corps et du choix de sa sexualité. Il arrive encore (pas plus d'une dizaine de fois par an, dans le fond, ce n'est pas si mal!) que des couples d'hétéros qui s'étaient retrouvés clandestinement à la nuit tombée dans un parc ou dans un bar spécialisé soient pourchassés et passés à tabac par des hordes de furies armées de leurs chaussures à semelles compensées. Bien évidemment, les perruques et le maquillage n'aident pas beaucoup à l'identification des agresseurs.
Il y a bien une loi contre l'hétérophobie. Mais ce n'est pas à vous que je vais apprendre qu'il y a une marge entre l'existence d'une loi et son application. Alors, quand la vérité finit par éclater et que les services de Police (la Village Security People) daignent finalement passer les bracelets aux mauvaises-filles et les isoler quelques nuits en garde à vue, la justice trouve toujours le moyen de clore l'affaire par un vice de procédure ou un manque d'informations essentielles. Elle peut également se contenter de laisser traîner le dossier, sans trancher et sans rendre la justice qu'il convient.
Les hétérosexuels pourraient-ils accepter d'être sujet aux agressions et exclus d'une justice équitable?

Les choses ont bien changé. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Les hétérosexuels ont leur magazine attitré, "Obstiné(e)" que les vendeurs dans les kiosques ne range plus avec la presse homo-pornographique. Ils ont même leur chaîne de télévision sobrement nommée Violet (mélange d'un bleu masculin et d'un rose féminin). On pourrait penser que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et bien non! Chaque année, les hétérosexuels se réunissent sur un grand terrain de foot. Là, ils vident des canettes de bières par milliers tout en dégustant des petits plats préparés par les femmes. Ça s'appelle la Straight Pride. Ce rassemblement a lieu en commémoration d'une descente de police qui aurait dégénérée il y a longtemps au King, un club un peu tendancieux.
Cette année, ils étaient plus de cinq cent milliers dans le stade de la capitale. Il ne faut pas croire que tous les hétérosexuels étaient là. Certains boycottent cette manifestation parce qu'elle donne une mauvaise image de l'hétérosexualité. Pourtant, de nombreux stands jalonnent les lignes de touche. On peut y voir de nombreuses associations de défense des droits hétérosexuels. Si cette journée est placée sous le signe de la fête (car l'humour et la joie de vivre des hétérosexuels sont légendaires!), il est indiscutable qu'elle est également l'occasion de revendication comme le droit à l'union et à la maternité (mais nous y reviendrons).
De plus en plus de gens normaux (pardon, je veux dire homosexuels) participent à cet événement. Si on peut y voir un signe de soutien, on ne peut s'empêcher de penser que c'est surtout l'esprit festif qui est à l'origine de leur présence. Et ce, même si notre institut de sondage (l'HYPE-SUCE) révèle que nos citoyens (enfin, je veux dire les homosexuels, parce que les hétérosexuels sont aussi des citoyens - on aurait presque tendance à l'oublier) sont prêts à consentir à l'attribution de droits. Hélas, le gouvernement de notre monarchie parlementaire ainsi que nos représentants politiques refusent toujours cette idée. Ne serait-ce même que d'ouvrir le débat! Oh, il y a bien quelques marginaux utopistes et humanistes parmi les élus qui tentent bien une percée ici ou là. Mais on entend dire qu'ils seraient eux-mêmes des déviants...
Les hétérosexuels pourraient-ils accepter d'avoir l'aval d'une majorité du peuple et d'être ignorés par le pouvoir?

Parmi les droits réclamés par cette minorité, nous trouvons le droit au mariage. Vous ne serez pas surpris d'apprendre que notre Eglise refuse avec acharnement la seule évocation de cette demande. Car même s'il y a plus d'un siècle déjà que nous avons séparé l'Eglise de l'Etat, il n'en reste pas moins que notre culture extatico-pédienne est profondément influencée par la notion d'union entre deux personnes de même sexe ayant des relations sexuelles visant exclusivement le plaisir charnel. Ceci explique pourquoi notre Pape SMII a excommunié deux prêtes dissidents qui auraient consenti à une union hétérosexuelle.
Nous leur avons donc créé le PUCS, pacte d'union civile et sociale. Le principe est le même que celui du mariage si ce n'est qu'il n'ouvre pas les mêmes droits et avantages qu'un mariage traditionnel et qu'il n'a pas lieu en notre Eglise mais au Tribunal d'Instance. Mais ces gens-là en veulent plus et réclame l'égalité. "Mêmes devoirs, mêmes droits" comme ils disent. Il reste néanmoins que la promiscuité sexuelle notoire des hétéros pose un lourd problème. Le mariage implique fidélité et on ne brise pas un mariage aussi facilement qu'un PUCS. Peut-être améliorerons-nous un peu le PUCS pour les calmer et ainsi ne pas nous mettre à dos les croyants intégristes jusqu'aux prochaines élections.
Les hétérosexuels pourraient-ils accepter un texte d'union offrant des droits différents de ceux attribués aux autres citoyens?

Plus préoccupant encore est ce droit à la maternité qu'ils réclament. SMII a clairement énoncé la position de l'Eglise dans un virulent "Il ne saurait être question d'envisager l'acte sexuel sans préservatif!".
Avec la loi contre l'hétérophobie, l'attitude de notre Ministère de la Santé et de la Famille peut surprendre davantage. Notre équilibre repose sur la fécondation in-vitro complétée ensuite par un savant élevage en incubation. Nos couples légitimes d'hommes et de femmes viennent ensuite adopter dans les centres spécialisés. La fécondation intra-utérine et les risques éventuels pour la santé de la mère porteuse peuvent être une cause de soucis pour la santé publique.
Par ailleurs, le Ministère se refuse toujours à accepter et faire voter l'adoption aux couples hétérosexuels pucsés. Et ce, même si nos centres débordent de jeunes enfants qui ne trouvent pas de foyers parce que certains citoyens préfèrent parcourir le monde sans entrave ou se consacrer à leurs carrières. L'argument officiel du Ministère est que cela risquerait de nuire au développement psychologique de l'enfant. Pourtant, on rapporte ici et là que des couples hétérosexuels ont procréé, que de nombreuses femmes se sont cachées pendant leurs grossesses et que de nombreux enfants seraient ainsi nés illégitimement. Il y aurait même des accords entre des couples d'hétéros pour que les deux maris et les deux femmes se présentent séparément dans les centres d'adoptions. Ainsi des statistiques avancent à trois cent mille le nombre d'enfants élevés par des couples hétérosexuels. Il semblerait même que ces enfants ne posent aucun problème d'ordre psychologique et se développent naturellement vers l'homosexualité.
Les hétérosexuels pourraient-ils accepter de ne pas avoir d'enfant ou d'avoir recours à des stratagèmes pour accéder à la parentalité?
Les hétérosexuels pourraient-ils accepter d'entendre qu'ils sont un facteur de troubles psychologiques pour l'éducation d'un enfant?
Les enfants d'hétérosexuels pourraient-ils accepter d'être illégitimes et d'entendre qu'ils seraient sujets à des désordres mentaux?



J'arrête là, mais on pourrait s'amuser encore et encore.
Du pincement aux lèvres d'une mamie lesbienne qui croiserait un homme et une femme main dans la main, à l'air gêné d'un présentateur de JT quand il devrait parler d'hétérosexualité, en passant par la discrimination à l'embauche (ou à la promotion) d'hétéros sans oublier celle au logement.
On pourrait également s'amuser de cet acteur hétéro qui serait obligé de taire sa sexualité pour décrocher des rôles dans des comédies romantiques ou des films d'actions à Godmiwood.
On pourrait même verser une larme devant le coming-out dramatique d'un jeune garçon qui "avouerait" son amour pour une belle demoiselle à des parents conservateurs scandalisés. Plus terrible, il y aurait ces cas de suicide chez de jeunes hétérosexuels traumatisés dès l'enfance par les insultes...
N'ai-je pas dit que j'arrêtais là!

Je ne sais pas pour vous, mais même en étant homosexuel, je n'aimerais pas du tout vivre dans un monde comme celui-là. Aussi violent, aussi méprisant... Pourtant, il suffit juste d'intervertir homo et hétéro et ce qui précède décrit exactement la situation vécue par les pédégouines dans notre société.
Les homosexuels doivent accepter d'être seulement tolérés.
Les homosexuels doivent accepter d'être sujets aux agressions et exclus d'une justice équitable.
Les homosexuels doivent accepter d'avoir l'aval d'une majorité du peuple et d'être ignorés par le pouvoir.
Les homosexuels doivent accepter un texte d'union offrant des droits différents de ceux attribués aux autres citoyens.
Les homosexuels doivent accepter de ne pas avoir d'enfant ou d'avoir recours à des stratagèmes pour accéder à la parentalité.
Les homosexuels doivent accepter d'entendre qu'ils sont un facteur de troubles psychologiques pour l'éducation d'un enfant.
Les enfants d'homosexuels doivent accepter d'être illégitimes et d'entendre dire qu'ils sont sujets à des désordres mentaux.

La question est maintenant de savoir si les hétérosexuels qui pourraient à juste titre être choqués par cette vision homonormée du monde le sont tout autant par la réalité discriminante de notre société à l'égard des LGBT...
Si l'hétérophobie de ce texte-fiction vous choque, je vous demande d'être choqué par l'homophobie qui est notre quotidien.

Ce billet est ma réponse à ceux qui pensent encore que l'homosexualité est enfin acceptée et que nous pouvons ranger les armes.