Heartpusher đłïžââ§ïž
mercredi 9 octobre 2024, 20:10
Pas trop motivĂ© pour bosser dans le train Toulouse-Paris, jâavais donc anticipĂ© en tĂ©lĂ©chargeant la troisiĂšme saison de Heartstopper sur ma tablette pour occuper les 4h30 du voyage. MĂȘme si mon Ăąge vĂ©nĂ©rable fait que les atermoiements amoureux dâadolescents postpubĂšres stimulent peu mon cortex, jâavais nĂ©anmoins apprĂ©ciĂ© la premiĂšre saison pour la reprĂ©sentativitĂ© quâelle offre Ă la jeune gĂ©nĂ©ration LGBT. La seconde saison mâavait laissĂ© dubitatif, je ne voyais pas ce quâelle apportait de plus par rapport Ă la premiĂšre. Et comme les Ă©chos sur la derniĂšre saison sont plutĂŽt Ă©logieux, je me suis laissĂ© tenter.
Me voilĂ donc ce mercredi, voiture 13 siĂšge 343, devant le premier Ă©pisode quand le train quitte la gare de Matabiau Ă 14h17. Personne sur le siĂšge voisin, je vais ĂȘtre peinard.
Rapidement, je me rends compte que la thĂ©matique de lâanorexie va ĂȘtre le fil rouge de cette saison. Okay, avec les diktats culturels du body image parfait plĂ©biscitĂ© sur les rĂ©seaux sociaux, les troubles alimentaires quâils peuvent engendrer sont un vrai sujet. Je suis curieux de voir comment cela va ĂȘtre traitĂ©.
Je ne sais plus si câest au premier arrĂȘt ou au second quâest arrivĂ© ce garçon, entre 25 et 30 ans peut-ĂȘtre, les cheveux chĂątain clair mi-longs retenus vers lâarriĂšre par un serre-tĂȘte crantĂ©, qui sâest installĂ© Ă la place voisine de la mienne. Jâavais squattĂ© les deux prises (une pour lâiPad, une pour lâiPhone), charitable et urbain, je libĂšre la sienne. Il me remercie et sâinstalle. Il sort son Macbook, pianote dessus un peu, le range, sort sa liseuse, rĂ©ponds Ă des sms⊠Du coin de lâĆil, je le vois zieuter mon Ă©cran. Je me demande si en son for intĂ©rieur il me juge de regarder une sĂ©rie midinette pour ados. Moi, je me jugerais ! đ. Il se lĂšve, remet toutes ses affaires dans son sac, le pose sur le siĂšge, et me tapote lâĂ©paule :
â Je peux vous demander de le surveiller. Je mâabsente 5 minutes.
â Absolument HoRs dE qUeStIoN ! đ
Au ton que jâai employĂ©, il comprend que je plaisante, me gratifie dâun sourire et dâun clin dâĆil avant de quitter la voiture. Jâai commencĂ© lâĂ©pisode suivant quand il revient. Je le vois me dire merci quand il reprend son sac pour sâasseoir. JâenlĂšve lâĂ©couteur de mon oreille pour lui rĂ©pondre en souriant :
â Ne me remerciez pas, jâen ai profitĂ© pour fouiller dedans ! âșïž
â Je me doute⊠Et câest justement pour ça que je l'ai laissĂ©. đ
â Oh, mais il a de la rĂ©partie. Excellente rĂ©ponse. Jâaime. đ
Je reloge lâĂ©couteur dans son orifice dĂ©diĂ© et me replonge dans Heartstopper. Je ne voudrais pas quâil sâimagine quâil se fait draguer par un vieux. Il aurait 20 ans de plus, je dis pas, peut-ĂȘtre que... Ce serait la rencontre parfaite Ă raconter plus tard Ă nos enfants ! Ah et puis oui aussi, jâai dĂ©jĂ un mec, câest vrai⊠Ooops ! đ€
MĂȘme si elle est pas trop mal traitĂ©e, je trouve que lâanorexie de Charlie vampirise un peu les arcs narratifs des autres personnages de la sĂ©rie. Le mal-ĂȘtre aromantique dâIsaac au milieu des couples de sa bande est Ă peine effleurĂ©, les rĂ©flexions dâElle sur son engagement trans suite Ă lâinterview ratĂ©e sont passĂ©es Ă la trappe, tout comme les angoisses de Tara, qui finalement ne servent quâĂ montrer que Charlie a surmontĂ© les siennes⊠Les autres jeunes finalement ne servent que de faire-valoir, de traits dâunion entre les scĂšnes de la romance Nick+Charlie. Certain·e·s auraient mĂ©ritĂ© un meilleur Ă©clairage. Content tout de mĂȘme de retrouver les flirts des deux profs, Ajayi et Farouk. Jâai eu des frissons quand Farouk regarde Ă©mu les progrĂšs de Charlie en repensant Ă comment il Ă©tait lui-mĂȘme Ă cet Ăąge. Un traitement plus explicite quâun flashback de 5 secondes aurait Ă©tĂ© justifiĂ©. Sur un film de 2 heures, je peux comprendre, sur une sĂ©rie, on peut le dĂ©plorer. AnywayâŠ
Le jeune voisin sâagace de son tĂ©lĂ©phone qui ne semble pas charger correctement. Je vois quâil a Ă©galement un iPhone et lui propose mon cĂąble. Il en faut peu parfois pour obtenir le statut de Sauveur. Il a maintenant sorti un cahier avec une couverture fleurie sur lequel il griffonne quelques mots. Il Ă©crit petit et j'ai des yeux pourris, je n'arrive pas Ă satisfaire ma curiositĂ©. Je ne sais pas ce qui me surprend le plus. Les fleurs du cahier ou quâune personne de son Ăąge utilise encore un stylo et du papier ?
Le TGV approche de Paris. On passe dans les fameux tunnels qui font mal aux oreilles. Je me tire sur les tympans tout en dĂ©glutissant. Mon voisin a le mĂȘme souci. Il me dit « Faut avaler ! ». J'acquiesce de la tĂȘte en souriant et mâefforce de retenir toutes les rĂ©ponses grivoises qui me brĂ»lent les lĂšvres⊠đ
Un rapide calcul me confirme que je ne verrai pas le dernier Ă©pisode. Je me le garde sous le coude pour chez moi et remballe lâiPad dans ma besace. Le jeune homme en profite pour me rendre le chargeur.
â Y a pas urgence, lui dis-je, encore un quart dâheure avant quâon arrive.
â Jâai fait le plein, câest bon. Merci.
(âŠ)
Tu habites Paris ?
Tiens, on est passé au tutoiement⊠Généralement dans les comédies romantiques américaines, il faut que les protagonistes aient couché ensemble pour en arriver là .
â Yep.
â Moi, câest la premiĂšre fois que je viens !
â Ah ouais, cool ! Faut faire un vĆu.
(âŠ)
â Et tu viens pour le boulot, les vacances⊠?
â Non, non⊠(longue pause) Jâai un rendez-vous important qui va dĂ©cider du reste de ma vie !
â Oulala⊠Câest beaucoup de pression sur les Ă©paules ça, le reste de sa vie.
â Ouais. Faut pas que je me foire.
â đ€ Je peux juste dire quelque chose ?
â Bien sĂ»r.
â On n'a pas qu'une vie... Je veux dire quâĂ lâintĂ©rieur de sa vie, on a plusieurs vies etâŠ
â Oh que oui ! Et je suis bien placĂ© pour le savoir.
â Alors essaye peut-ĂȘtre de dĂ©dramatiser en te disant que câest juste un rendez-vous qui va dĂ©cider de la suite du chapitre actuel.
â đ€ Câest quand mĂȘme un entretien qui va dĂ©cider de si je peux continuer ma transition ou pas.
Alors lĂ , je ne mâattendais pas du tout Ă cette rĂ©ponse-lĂ . Alors que je mâĂ©tonnais de la concentration de queer dans le lycĂ©e de Heartstopper, le hasard des rĂ©servations SNCF place deux LGBT cĂŽte Ă cĂŽte⊠Je dois certainement afficher un large sourire et hausser les sourcils au-dessus de mes lunettes. Et je le vois satisfait de son petit effet, certainement du fait que je nâavais soupçonnĂ© une seule seconde sa transidentitĂ©âŠ
â Ah ouais, en effet. Je te l'accorde, on peut dire quâil y a un gros enjeu.
â Câest un peu le reste de ma vie, oui.
â Certes. (âŠ) AprĂšs, si je peux me permettre, ta transition ne dĂ©pend pas complĂštement de ce rendez-vous. Elle est dĂ©jĂ lĂ (je tapote de lâindex sa tempe) et lĂ (je tapote de lâindex son cĆur). Je me trompe peut-ĂȘtre, mais jâai lâimpression que tu as fait le plus gros du chemin et quâun demi-tour nâest pas envisageable. Donc, dans le pire des cas, et je ne te le souhaite pas, les choses ne seront que retardĂ©es. Câest juste un palier qui est en jeu, rien dâirrĂ©mĂ©diable et de dĂ©finitif. Si ce nâest pas lĂ , ce sera pour un peu plus tard. Alors, relax⊠respire⊠Ne te mets pas plus de pression que nĂ©cessaire.
Je vois ses yeux qui commencent Ă briller et sâhumidifier. Je nâinsiste pas et le laisse digĂ©rer un peu. Faudrait pas que mes yeux jouent les fontaines dans la foulĂ©e.
â Et dire que gĂ©nĂ©ralement, le mec cool, câest moi ! đ„č
â Faut croire que tâes tombĂ© sur plus cool que toi, câest tout ! đ€·ââïž
Donc il sâidentifie comme « le mec », ça vaaaa, je ne lâai pas mĂ©genrĂ© sans savoir. Ouf ! đźâđš
Je me suis demandĂ© de quel entretien spĂ©cifique il sâagissait, mais jâai trouvĂ© quâil aurait Ă©tĂ© incongru de poser la question. Tout comme il aurait Ă©tĂ© hyper intrusif et dĂ©placĂ© de demander Ă quel stade de sa transition il se trouvait. Entre-temps, le train est arrivĂ© en gare de Montparnasse. Je lui ai souhaitĂ© bon courage et bonne chance. On sâest saluĂ© une derniĂšre fois et nos routes se sont sĂ©parĂ©es⊠đ
Jâai traversĂ© la gare de Montparnasse avec un grand sourire. Celui quâon peut avoir quand on a lâimpression dâavoir fait une bonne action gratuite. Je ne sais pas si mon pep talk lui permettra dâaborder son rendez-vous avec plus de sĂ©rĂ©nitĂ©. JâespĂšre. Je ne sais mĂȘme pas quand il a lieu. Aujourdâhui, les jours prochains ? Mais quelque chose me dit que je vais penser Ă lui jusquâĂ la fin de la semaine⊠Je croise sincĂšrement les doigts pour que tout se goupille bien pour lui. đ€
Toujours avec le sourire, dans le mĂ©tro, je me disais que les temps avaient bien changĂ© pour quâune personne aborde le sujet de sa transidentitĂ© avec un inconnu dans un train. De lâeau sous les ponts. Sentiment de ne pas avoir manifestĂ© des annĂ©es pour rien. It gets better. En mĂȘme temps, comme il a vu que je regardais une sĂ©rie LGBT, il se savait en terre amieâŠ
Je rigole en pensant que je suis devenu une vieille folle qui donne du rĂ©confort Ă la jeune gĂ©nĂ©ration. Orpheus Madrigal qui pousse les cĆurs dans la bonne direction. Il ne me reste plus quâĂ ouvrir une pension ! đ (Si tâas la ref, tâes plus tout jeune, mais je te kiffe)
Jâai de lâadmiration pour une Bonne Copine qui donne de son temps dans des interventions de lutte contre les discriminations, en particulier envers les LGBT, dans des lycĂ©es via lâassociation Le Refuge. Je comprends le bĂ©nĂ©fice personnel quâil peut y trouver. Je lui envoie un sms pour lui dire que jâaurais quelque chose Ă lui raconter. (VoilĂ , câest maintenant chose faite).
Je souris encore en pensant que ce monde individualiste ne mâa pas encore rendu trop misanthrope et cynique, que mon empathie naturelle arrive encore Ă prendre le dessusâŠ
Dans le hall de mon immeuble, je dĂ©couvre que lâascenseur est en panne. Sept Ă©tages Ă monter avec un trolley dans une main, un sac de deux kilos de tomates vertes dans lâautre et une besace qui pĂšse un Ăąne mort sur lâĂ©pauleâŠ
SĂ©rieux ?
Nan mais fuck le karma, quoi !
JâĂ©tais censĂ© avoir gagnĂ© des points lĂ , non ?
Et ainsi sâest envolĂ© le sourire⊠đ
NDLR : Les commentaires sur les réseaux sociaux ont tendance à se perdre avec le temps dans les limbes des internets. Pire encore, selon le sujet, ils risquent d'attirer les trolls en tout genre.
Dans la mesure du possible, merci de privilĂ©gier l'expression de vos pensĂ©es ici sur ce blog, oĂč le texte est publiĂ© dans son intĂ©gralitĂ©, plutĂŽt que sur les rĂ©seaux sociaux. Et je me ferai un plaisir d'y rĂ©pondre !
Commentaires
C'est de plus en plus plaisant pour moi de te lire (mĂȘme si j'avoue avoir sautĂ© la partie sur la sĂ©rie, qui ne m'aurait pas parlĂ© puisque je ne l'ai pas vue). Je connais la sensation agrĂ©able d'avoir aidĂ© quelqu'un, ne serait ce qu'en Ă©changeant quelques mots. Je comprends que ça t'ait donnĂ© le sourire
Promis, je vais prendre l'habitude de commenter ici et pas ailleurs
Ben à une époque je fus aidée par un jeune homo, j'ai suivi avec les miens son pacs , sa rupture, à Lyon, à Toulouse. La bourse plate je nourrissais la troupe à Paris, j'ai beaucoup voyagé et usé mes souliers. Faire ce que l'on peut , éventuellement ce que l'on doit d'attention. DerniÚrement l'un d'eux m'a sonné "Madeleine j'ai atteint l'ùge que tu avais à notre premiÚre rencontre" soit 51 ans !!! Eduquer mon amoureux à propos des "oiseaux" comme il disait que l'on les nommait par chez lui en Galice les garçons sensibles. Bonne chance à celui de ce jour en TGV.
C'est bon pour le cardio, et le cĆur aussi, tout ça ;-)
Chaw > Oh ! Comme câest gentil âșïž
Je comprends tout Ă fait que tu aies zappĂ© les paragraphes sur la sĂ©rie. Jâaurais fait pareil, mĂȘme en lâayant vue dâailleurs ! đ€Ș
Funfact : jâai Ă©crit le texte en deux fois. Dâabord les paragraphes de la vraie vie, parce que je ne voulais pas oublier les phrases de notre Ă©change⊠Et une heure plus tard, les paragraphes concernant la sĂ©rie, qui relĂšvent plus dâune apprĂ©ciation subjective personnelle et qui nâont donc quâun intĂ©rĂȘt trĂšs relatifâŠ
Mais la sĂ©rie a une importance dans cette histoire. Je crois que câest parce quâil a vu que je bingewatchais un truc LGBT quâil sâest autorisĂ© Ă la confidenceâŠ
(Je prĂ©fĂšre aussi les commentaires ici plutĂŽt que sur les rĂ©seaux sociaux, pour que les autres lecteurs puissent en profiter indĂ©pendamment des plateformes et de qui ils suivent ou pas đ)
La Mume > C'est beau tous ces chemins qui se croisent... On en sort tous un peu plus grands je crois... Tiens, je me demande du coup, ça fait combien de temps qu'on se connait tous les deux ? đ€
Franck > Ouis bah pour les 7 Ă©tages avec tout le bordel, je mâen passe sans problĂšme⊠Et Ă priori ça va durer, câest le moteur de l'ascenseur qui est mort⊠Jâai eu le syndic au tel, ça fait 5 jours quâils attendent le devis de la commande dâun moteur neuf⊠đ«
Toi et nous au bas mot 23 ans, un jour de marche laquelle me souvient pas, peut-ĂȘtre la premiĂšre oĂč Dom y alla poussĂ© par la Mume initiĂ©e qu'elle fut par le jeune dont je parlais pour ma toute premiĂšre fois donc vers 1996, la marche fut longue, difficile, mais gagnĂ©e, tellement fragile il faut en prendre soin, hĂ©las je suis HS. VoilĂ "homme bleu".
La Mume > Câest bien ce que je me disais⊠Cette fameuse Pride avec les cheveux bleus⊠AprĂšs vĂ©rification dans mes archives photos, câĂ©tait la marche de 2006. Donc un peu plus de 18 ans⊠Fichtre que le temps passe⊠tic tac tic tacâŠ
Le mien va d'une oreille Ă l'autre. Tonton Orpheus, l'indispensable.
Et aussi "Je reloge lâĂ©couteur dans son orifice dĂ©diĂ©". Je ne t'imaginais pas si classique.
SacripâAnne > Bah oĂč voulais-tu que je le remette cet Ă©couteur Ă part dans mon oreille !?! đ
Je ne suis pas certain de vouloir connaĂźtre la rĂ©ponse à ça en fait⊠đ