Poum Poum... Poum Poum...

Un petit garçon devait devant toute sa classe de cours élémentaire déclamer une récitation. Sur l'estrade, il sentait ses jambes se dérober sous lui. "Le loup et l'agneau par Jean de La Fontaine". Silence. Une trentaine de paires d'yeux le fixait. Oh, pas méchamment, mais cela avait suffit pour lui faire prendre conscience de la situation. Il devait prendre sur lui et oublier sa timidité. "La raison du plus fort est toujours la meilleure". Silence. Il savait la suite. Il l'avait rabâchée la veille des dizaines de fois. Mais les mots s'étaient bloqués dans sa gorge. Mentalement pourtant, il continuait... La maîtresse l'encourageait en lui soufflant le premier mot suivant. "Nous...".
Chercher refuge dans les yeux des camarades. "Alors, on ne va pas y passer la journée". Et puis retentit la cloche de la récréation. "Vous pouvez sortir. Yann, tu restes ici. Va chercher ton livre et recopie la récitation au tableau."

Une petite dizaine d'année plus tard, ses parents avaient été ravis de le voir s'inscrire à des cours de théâtre. Le professeur était un géant, Dominique. Il avait tourné dans quelques films au cinéma. Presse-Purée dans "Inspecteur la bavure". Bruce dans "Les sous-doués passent le bac". Vous voyez? Le genre de viking qui impressionne et avec qui il valait mieux connaître son texte.
Première représentation de fin d'année. La salle des fêtes était pleine. Il n'avait qu'un tout petit rôle dans cette pièce de Feydeau pourtant il sentait son coeur battre à tout rompre dans sa cage thoracique. C'était certain, lorsqu'il ouvrirait la bouche, les oreillettes et ventricules jailliraient pour aller s'écraser sur les visages médusés des spectateurs du premier rang. Il devait entrer sur scène dans dix secondes. Les membres inférieurs flageolaient dans ce costume de scène un peu trop grand pour lui. Cinq secondes, à la fin de la prochaine réplique, c'était à lui. Dominique qui était derrière lui dans les coulisses lui plaqua son énorme main dans le dos et le poussa légèrement. "Go". Entrée sur scène. Les spots sur la rampe éblouissaient ses yeux en l'empêchant de voir les visages dans la salle. Une première phrase venait de sortir de sa bouche. En pilotage automatique, il réitérait les gestes et paroles scrupuleusement répétés.
D'autres pièces ont été travaillées, d'autres représentations ont été données. Toujours cette même peur avant le lever du rideau, mais à chaque fois avec un tout petit peu plus de plaisir.

Il faisait maintenant du théâtre à l'institut britannique de Charles V. En juin, il serait le Chevalier Danceny dans une adaptation des Liaisons Dangereuses de Laclos dans la langue de Shakespeare. Il aurait aimé faire Valmont, problème de carrure et de charisme certainement. Une seule représentation. Le palpitant a palpité comme jamais. Il repensait à cette fable de La Fontaine qui l'avait jadis privé de récréation. Le trac était cet agneau. Il était le loup qui allait le dévorer en une bouchée. Ce fût la dernière fois qu'il fît l'expérience du trac.
Il y a dix ans de cela. Il n'est plus remonté sur scène et ça ne lui manque pas.

 

NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.

Ce billet a reçu les commentaires suivants :

Le Citadin :
Charles V ??
Je ne voudrais pas "Stéphaneberniser" de nouveau, mais il n'y a, sauf erreur de ma part, jamais eu de Charles V en Angleterre... pas plus qu'en Ecosse... Nos amis britanniques n'ont pas dépassé le numéro II ....
Mais est-ce vraiment important ??

Orpheus :
Le Citadin > Je te reconnais bien là, ma Pam... L'institut britannique porte le nom de la rue où il se trouve... Rue Charles V (Paris 4) clin d`oeil
Aucun rapport donc entre le nom de l'institut et les Charles d'Angleterre !

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