Homo au boulot đłïžâđ
vendredi 27 décembre 2024, 18:00
Sur le fĂ©diverse, la bonne copine Virgile a partagĂ© ce matin un fil du podcast MĂ©ta de Choc oĂč il est question d'homosexualitĂ© dans le milieu professionnel :
« Psycom, organisme public d'information sur la santĂ© mentale et de lutte contre la stigmatisation, vient de publier un dossier trĂšs complet sur les discriminations , violences physiques et psychologiques que subissent les personnes LGBT+. Y est citĂ© le livre de la Collection MĂ©ta de Choc âTous hĂ©tĂ©ros au boulot ?â, coĂ©crit avec la sociologue Ămilie Morand.
L'article prĂ©sente notamment les facteurs qui induisent des problĂšmes de santĂ© mentale plus frĂ©quents chez les personnes LGBT que dans la population gĂ©nĂ©rale : la nĂ©cessitĂ© de cacher sa diffĂ©rence, l'homophobie intĂ©riorisĂ©e, la minimisation des violences, la question du coming out ou encore le stress de faire partie dâune minoritĂ©. Il expose Ă©galement les stratĂ©gies qu'une personne LGBT+ peut adopter pour prĂ©server sa santĂ© mentale et indique comment l'aider, quâon soit parent, collĂšgue ou soignant·e.Extraits : « [Les personnes LGBT+] sont plus exposĂ©es aux discriminations que les autres. Câest ce que montre le 16e BaromĂštre de la perception des discriminations dans lâemploi, publiĂ© par le DĂ©fenseur des droits et lâOrganisation internationale du travail (OIT). Dans son Ă©dition 2023, ce baromĂštre indique notamment quâen France, une personne homosexuelle ou bisexuelle a 3 fois plus de risque dâĂȘtre victime de discrimination au travail quâune personne hĂ©tĂ©rosexuelle. »
« Dans son livre publiĂ© en 2024 âTous hĂ©tĂ©ros au boulot ?â (La route de la soie Ăditions), la sociologue Emilie Morand fait le constat suivant : les personnes qui composent lâenvironnement de travail partent du principe que chaque employé·e serait hĂ©tĂ©rosexuel·le, considĂ©rant que lâorientation sexuelle relĂšve de la vie privĂ©e. Cela oblige les personnes LGBT+ Ă faire un choix qui a, de toute façon, un impact sur leur santĂ© mentale. Iels peuvent faire leur coming-out, câest-Ă -dire rĂ©vĂ©ler volontairement leur orientation sexuelle et romantique Ă un·e collĂšgue, puis Ă un·e autre, avec la crainte constante dâune rĂ©action nĂ©gative (ce qui gĂ©nĂšre de lâanxiĂ©tĂ©, mĂȘme si lâannonce est finalement bien reçue). Sinon, iels peuvent cacher leur orientation sexuelle, avec le risque que cela affecte leur estime de soi. »
Aussi intĂ©ressant soit ce fil, je confesse n'avoir pu retenir un sourire sarcastique : Much Captain Obvious ! Fallait-il vraiment une Ă©tude (de plus) et un baromĂštre pour affirmer que lâhomophobie est cause de discriminations et de souffrances dans le monde du travail ? Des dĂ©cennies de tĂ©moignages de nos expĂ©riences personnelles nâont-elles pas encore suffi Ă Ă©tablir cette rĂ©alitĂ© quâil faille encore la rĂ©pĂ©ter, la dissĂ©quer, lâanalyser ? Encore des paroles invisibilisĂ©esâŠ
Oserait-on lancer une Ă©tude aujourdâhui sur lâĂ©ventuelle existence du harcĂšlement sexuel en milieu professionnel ? Et Ă quand un baromĂštre sur la mouillitude de lâeau en milieu humide ? đ
Sur le passage du fameux choix des LGBT Ă sâexposer ou pas dans leur entreprise, Virgile ajoute nĂ©anmoins un commentaire judicieux et trĂšs significatif :
« PlutĂŽt dans la 1ere catĂ©gorie jusquâen 2013. Et puis le trauma des dĂ©bats sur le mariage pour tous. (Tout le top management de la boĂźte oĂč je bossais Ă©taient des membres actifs de la manif pour tous les dĂ©biles.) PlutĂŽt dans le 2nd catĂ©gorie depuis. »
On a tous tendance Ă scander it gets better pour parler de la condition des LGBT, et cela nâest pas faux. Pour ce qui est du droit et des mentalitĂ©s en gĂ©nĂ©ral, lâĂ©volution est indĂ©niable. Cependant, alors quâon commençait Ă respirer plus librement, la violence de la Grande Guerre de 2012-2013 (aka les dĂ©bats en France sur lâouverture du mariage aux personnes de mĂȘme sexe) a laissĂ© des cicatrices traumatisantes chez celleux qui lâont vĂ©cue. [1] La ManifPourTous a forcĂ© les LGBT Ă intĂ©grer lâampleur de la violence homophobe qui peut se cacher chez des personnes Ă premiĂšre vue paisibles et cultivĂ©es. Nous avons intĂ©grĂ© que la violence homophobe nâest pas lâapanage de "racailles de banlieue". Nous avons intĂ©grĂ© quâil faut nous mĂ©fier des loups comme des agneaux, Ă la ville comme au boulotâŠ
It gets better, certes, mais 2013 a indirectement servi de catalyseur et renforcĂ© lâhomophobie et la violence de celleux qui lâĂ©taient dĂ©jĂ . On peut sâappuyer sur tous les rapports annuels publiĂ©s par SOS Homophobie pour affirmer cela sans ĂȘtre taxĂ© d'exagĂ©ration.
On me dira qu'Ă©tant mon propre patron, j'ai la chance de ne pas avoir ce souci. Perdu ! Quand tu es travailleur indĂ©pendant, tu finis par ressentir ce stress de la prĂ©somption dâhomophobie Ă chaque nouveau client et nouvelle structure que tu rencontres. Ă chaque fois, les questions de « lâenvironnement est-il suffisamment safe pour tenir jusquâĂ la fin du contrat ? Dans le doute, dois-je mâefforcer de bĂ©moliser mon naturel au max ? Comment cela va-t-il se passer quand ils vont percuter ? Dans quelles mesures puis-je claquer la porte le cas Ă©chĂ©ant ? Etc⊠» đ€
Ă-pui-sant ! đ
Parce que oui⊠tĂŽt ou tard, ils vont percuter que⊠đłïžâđ
Il y a deux types dâLGBT : Celleux qui ont la possibilitĂ© de « passer inaperçu·e·s », et celleux pour qui « y a pas photo ». Perso, je suis dans la team de celleux qui ont une queeritude plus grande que leur placard. Je nâai quasiment jamais eu besoin de faire de coming out, tellement je ne fais pas illusion trĂšs longtemps. Dans ma vie professionnelle, Ă chaque fois que jâai cessĂ© dâemployer des mots neutres [2] ou de faire des pĂ©riphrases pour parler de la personne qui partage ma vie, dans 95% des cas, on mâa rĂ©pondu que je ne faisais que confirmer ce quâiels avaient dĂ©jĂ soupçonnĂ©. Et je ne parle mĂȘme pas des fois oĂč la question mâa Ă©tĂ© posĂ©e frontalement ! [3]
Bien souvent, on nous rĂ©torquera « Gnagnagna, de toute façon, la sexualitĂ©, câest quelque chose de personnel. Vous ne devriez pas stresser, parce que vous ne devriez pas en parler au boulot. Câest la sphĂšreux du pri-vĂ© ! ».
Mouais, mouais, bien sĂ»r⊠mort de rire ! đ€Ł
DĂ©jĂ , ne serait-ce quâau niveau de lâinvisibilisation, ce genre de propos est gratinĂ© et discutable⊠Ces personnes ne se rendent mĂȘme pas compte quâelles parlent en permanence de leur conjoint et de leur hĂ©tĂ©rosexualitĂ©. Les choses se sont un peu floutĂ©es depuis lâouverture du mariage et de l'adoption, mais jusque lĂ , le simple port dâune alliance ou la mention des « enfants quâil a fallu accompagner Ă lâĂ©cole dans les embouteillages avant de venir travailler » Ă©taient des manifestations ostentatoires dâhĂ©tĂ©rosexualitĂ©. Et aujourdâhui encore, quand dans le milieu professionnel les gens te parlent de leur soirĂ©e de la veille, de leur week-end ou vacancesâŠ, sâils sont hĂ©tĂ©rosexuels, ils ne sâembarrassent pas dâartifices linguistiques ou de mensonges quant au genre de la personne qui partage leur vie. Iels te balancent leur genre et donc leur sexualitĂ© Ă la gueule sans mĂȘme sâen rendre compte. Ă tel point quâun gaydar professionnel est absolument inutile : Si Ă la troisiĂšme conversation, un interlocuteur·ice ne tâa toujours pas balancĂ© son hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, ding ding ding, il y a de fortes chances quâiel soit de la famille !
En Ă©crivant cela, je pense Ă ce client il y a un peu moins dâune dizaine dâannĂ©es qui mâavait dit Ă la fin dâun contrat quâil avait « Ă©tĂ© enchantĂ© de bosser avec moi », que jâĂ©tais « le premier gay avec lequel il collaborait » et que « ça nâavait aucune importance puisque de toute façon câĂ©tait de l'ordre de la vie privĂ© ». Tellement privĂ© quâil avait donc jugĂ© opportun de mâen faire part, lol ! Je mâĂ©tais contentĂ© de sourire en me gardant bien de lui rĂ©pondre « le premier dont tu as conscience », parce que dans une boite de plus de 100 personnes, statistiquement, ce serait surprenant quâil nây ait que de lâhĂ©tĂ©ro. Pour la petite histoire, je dois prĂ©ciser que son bras droit nâĂ©tait nulle autre que⊠roulement de tambour⊠son Ă©pouse ! Avec en bonus les regards amoureux, les allusions et petits bisous furtifs. La totale ! RĂ©pâ à ça « la sphĂšre du privĂ© » ! Je dirais bien quâĂ chaque fois que je sortais de son bureau, je dĂ©goulinais de son hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, mais ça pourrait ĂȘtre mal interprĂ©té⊠Huhuhu ! đ€
Long story short : mĂȘme en 2024, les personnes qui devisent doctement de ce que devrait ĂȘtre lâhomosexualitĂ© dans le domaine professionnel nâont bien souvent aucune idĂ©e de leur propre homophobie. Homophobie ordinaire, intĂ©riorisĂ©e, inconsciente, latente⊠Appelez ça comme vous voulez, cela reste de lâhomophobie.
Et je ne reprocherai jamais Ă quelquâun de ne pas sortir de son placard. Je sais trop ce que câest de ne pas pouvoir en avoir. đ
Jâaurais bien trouze mille autres exemples pour illustrer ce papier, mais en 2024, il faut aussi savoir Ă©crire en moins de mille mots, et jâen ai dĂ©jĂ gribouillĂ© bien trop⊠đ
Sur ces bonnes paroles, je retourne tafferâŠ
Note(s)
- ^ Et câest en cela que je ne pardonnerai JAMAIS aux politiques qui se sont opposĂ©s Ă cette loi par simple calcul Ă©lectoral. On ne joue pas avec la vie des gens. Toute cette haine montĂ©e en mayonnaise pour ensuite sâen laver les mains avec le prĂ©texte de la logique de parti ? Non. Tant que les LGBT nâauront pas eu rĂ©paration de cela par une condamnation en Justice de cette homophobie politique, il ne peut y avoir de pardon. Point barre !
- ^ Le neutre-oral du « mon ami » fort pratique, tout comme les classiques « nous » et le « on » indéfini pour ne citer que ceux-là ...
- ^ « Et c'est quoi son prénom ? » quand on vient de te faire parler de "ton ami" pour les plus subtils... « T'es avec un homme ou une femme ? » pour les plus pieds-dans-le-plat... « Je peux te poser une question ? T'es homo, non ? » pour les plus Karine-Le-Marchand... et j'en passe...
NDLR : Les commentaires sur les réseaux sociaux ont tendance à se perdre avec le temps dans les limbes des internets. Pire encore, selon le sujet, ils risquent d'attirer les trolls en tout genre.
Dans la mesure du possible, merci de privilĂ©gier l'expression de vos pensĂ©es ici sur ce blog, oĂč le texte est publiĂ© dans son intĂ©gralitĂ©, plutĂŽt que sur les rĂ©seaux sociaux. Et je me ferai un plaisir d'y rĂ©pondre !
Commentaires
Ăa me rappelle le temps de la loi mariage pour tous, un peu avant en fait, oĂč sur Twixtter un gus, pardon un catho-rĂ©ac-han m'expliquait qu'aucun de ses neuf (ou dix) enfants n'est ou ne serait LGBTQI+ â j'allais dire homo mais ça serait rĂ©ducteur.
je lui ai rĂ©pondu alors qu'Ă©tant donnĂ© les statistiques habituelles, il risquait fort d'ĂȘtre embarrassĂ© le jour oĂč il apprendrait queâŠ
Il n'a pas aimé et a coupé court en me bloquant, CQFD.
Spa gagné gagné et à mon avis ce rapport qui n'éclaire pas grand chose, vaut a minima le fait qu'on en parle.
Des bises !
Franck > Plus de 10 ans ont passé⊠ces enfants ont grandi⊠et en effet, comme on avait prĂ©venu, certains de ces enfants nâont pas eu lâorientation sexuelle que leurs parents souhaitaient⊠Internet regorge de ce genre de rĂ©citâŠ
Statistiquement, câĂ©tait inĂ©vitable !
Heureusement quâon a Ă©tĂ© soutenu par nos potes hĂ©tĂ©ros dans cette histoireâŠ
Gratitude forever ! đ«¶đ
Je plussoie TOUT. Je trouve à chaque fois insupportable l'argument de merde de la sphÚre privée.
Pour la petite histoire, dans mon ancien job j'étais out. Dans mon nouveau job, retour au placard pour plein de raisons que je ne peux évoquer ici. La société est ce qu'on en fait, certes, mais elle est fondamentalement homophobe. Tant que les gamins ne seront pas tous éduqués... (exemple le "jeu" dans les cours de récré : j'te touche t'es pédé), on ne peut pas parler de société égalitaire, sur ce point précis des questions LGBTQI+
Laurent > Ouais, on peut observer un net recul comportemental ces derniers temps. (Et ce nâest pas faute des associations qui font un boulot de dingue dans les collĂšges et lycĂ©es⊠Une bonne copine fait ça, franchement, quand il me raconte, jâadmire son calme, sa patience et tout et toutâŠ)
Les dĂ©rives des jeux homophobes popularisĂ©s par TikTok et autres nâest pas pour arranger les chosesâŠ
Il y a tellement de choses qui partent en couilles que je comprends totalement quâon souhaite jouer la carte de la discrĂ©tion et de la protection maximale.
Je ne sais pas si j'ai une queeritude plus grande que leur placard, pour reprendre la formule de l'auteur. Je sais, et je le répÚte à chaque fois que j'en ai l'occasion, qu'on ne fait pas un seul coming-out dans sa vie, ne serait-ce que à cause des nombreux emplois et employeurs qui nous possÚdent. Et donc aussi à cause des nombreux collÚgues qu'on rencontre.
Dans mon boulot actuel, je suis encore principalement en phase "langage neutre", des "nous" et des "on", des phrases à la forme passive, etc.. Une fois un collÚgue m'a parlé de ma copine et je l'ai repris avec "mon copain", mais je ne sais pas si l'info a circulé. Je sais que j'ai parlé de certaines activités connexes, que j'ai des comptes sur des réseaux sociaux avec des informations claires et précises, mais je ne sais pas si les collÚgues ont fait le lien. Je sais aussi que j'apporte au bureau ma tasse avec un rainbow flag dessus, mais les seules remarques ont concerné sa taille. (Je suis une Size Queen, pour les tasses.) Et pour le moment, pas de remarque, pas de problÚme. En espérant que ça dure.
(Ă la rĂ©flexion, c'est pas ma queeritude qui est plus grande que mon placard. C'est mon militantisme. đ )
TarValanion > Voilà ⊠pareil⊠autant jâarrive Ă gĂ©rer la formulation neutre, que je suis incapable de ne pas reprendre un « ta copine ». Mon estime perso mâautorise Ă taire, pas Ă mentir⊠Et encore une fois, il nây a aucune injonction chez moi Ă dire ce quâautrui doit faire.
Jâai lu ta premiĂšre phrase et jâai pensĂ© « toi, câest ton militantisme qui te rĂ©vĂšle, chouchou ! ». Et donc jâai lolĂ© en lisant ta conclusion. đ€Łđ€Łđ€Ł
Juste pour les tasses ?
Ma voisine du dessous, fort honorable et dévouée pour accueillir les pompiers à la porte lors de mes vautrages. Me parle de mon fils et de son copain, ben l'a pas de copain il a un mari, j'ai les pieds dévastés d'avoir piétiné les avenues de la capitale. Mon beau-fils et son mari, na !
Et aussi dans ma famille une nouvelle...transgenre...à elle les quolibets ...Je ne pourrais guÚre l'aider hélas pour moi.
La Mume > Tu fais bien de reprendre. Y a pas de raison. đđ
Je suis jaloux ! Tu as une famille plus LGBT que ma mienne⊠jâai les autres lettres, mais pas (encore) de T iciâŠ