Homo au boulot đŸłïžâ€đŸŒˆ

Sur une tablette graphique, on voit une main qui dessine une gomme qui efface un rainbow flag d'une silhouette en costme-cravate
Gommer son homosexualité

Sur le fĂ©diverse, la bonne copine Virgile a partagĂ© ce matin un fil du podcast MĂ©ta de Choc oĂč il est question d'homosexualitĂ© dans le milieu professionnel :

« Psycom, organisme public d'information sur la santĂ© mentale et de lutte contre la stigmatisation, vient de publier un dossier trĂšs complet sur les discriminations , violences physiques et psychologiques que subissent les personnes LGBT+. Y est citĂ© le livre de la Collection MĂ©ta de Choc “Tous hĂ©tĂ©ros au boulot ?“, coĂ©crit avec la sociologue Émilie Morand.
L'article prĂ©sente notamment les facteurs qui induisent des problĂšmes de santĂ© mentale plus frĂ©quents chez les personnes LGBT que dans la population gĂ©nĂ©rale : la nĂ©cessitĂ© de cacher sa diffĂ©rence, l'homophobie intĂ©riorisĂ©e, la minimisation des violences, la question du coming out  ou encore le stress de faire partie d’une minoritĂ©. Il expose Ă©galement les stratĂ©gies qu'une personne LGBT+ peut adopter pour prĂ©server sa santĂ© mentale et indique comment l'aider, qu’on soit parent, collĂšgue ou soignant·e.

Extraits : « [Les personnes LGBT+] sont plus exposĂ©es aux discriminations que les autres. C’est ce que montre le 16e BaromĂštre de la perception des discriminations dans l’emploi, publiĂ© par le DĂ©fenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT). Dans son Ă©dition 2023, ce baromĂštre indique notamment qu’en France, une personne homosexuelle ou bisexuelle a 3 fois plus de risque d’ĂȘtre victime de discrimination au travail qu’une personne hĂ©tĂ©rosexuelle. »
« Dans son livre publiĂ© en 2024 “Tous hĂ©tĂ©ros au boulot ?” (La route de la soie Éditions), la sociologue Emilie Morand fait le constat suivant : les personnes qui composent l’environnement de travail partent du principe que chaque employé·e serait hĂ©tĂ©rosexuel·le, considĂ©rant que l’orientation sexuelle relĂšve de la vie privĂ©e. Cela oblige les personnes LGBT+ Ă  faire un choix qui a, de toute façon, un impact sur leur santĂ© mentale. Iels peuvent faire leur coming-out, c’est-Ă -dire rĂ©vĂ©ler volontairement leur orientation sexuelle et romantique Ă  un·e collĂšgue, puis Ă  un·e autre, avec la crainte constante d’une rĂ©action nĂ©gative (ce qui gĂ©nĂšre de l’anxiĂ©tĂ©, mĂȘme si l’annonce est finalement bien reçue). Sinon, iels peuvent cacher leur orientation sexuelle, avec le risque que cela affecte leur estime de soi. »

Aussi intĂ©ressant soit ce fil, je confesse n'avoir pu retenir un sourire sarcastique : Much Captain Obvious ! Fallait-il vraiment une Ă©tude (de plus) et un baromĂštre pour affirmer que l’homophobie est cause de discriminations et de souffrances dans le monde du travail ? Des dĂ©cennies de tĂ©moignages de nos expĂ©riences personnelles n’ont-elles pas encore suffi Ă  Ă©tablir cette rĂ©alitĂ© qu’il faille encore la rĂ©pĂ©ter, la dissĂ©quer, l’analyser ? Encore des paroles invisibilisĂ©es

Oserait-on lancer une Ă©tude aujourd’hui sur l’éventuelle existence du harcĂšlement sexuel en milieu professionnel ? Et Ă  quand un baromĂštre sur la mouillitude de l’eau en milieu humide ? đŸ˜†

Sur le passage du fameux choix des LGBT Ă  s’exposer ou pas dans leur entreprise, Virgile ajoute nĂ©anmoins un commentaire judicieux et trĂšs significatif :

« PlutĂŽt dans la 1ere catĂ©gorie jusqu’en 2013. Et puis le trauma des dĂ©bats sur le mariage pour tous. (Tout le top management de la boĂźte oĂč je bossais Ă©taient des membres actifs de la manif pour tous les dĂ©biles.) PlutĂŽt dans le 2nd catĂ©gorie depuis. Â»

On a tous tendance Ă  scander it gets better pour parler de la condition des LGBT, et cela n’est pas faux. Pour ce qui est du droit et des mentalitĂ©s en gĂ©nĂ©ral, l’évolution est indĂ©niable. Cependant, alors qu’on commençait Ă  respirer plus librement, la violence de la Grande Guerre de 2012-2013 (aka les dĂ©bats en France sur l’ouverture du mariage aux personnes de mĂȘme sexe) a laissĂ© des cicatrices traumatisantes chez celleux qui l’ont vĂ©cue. [1] La ManifPourTous a forcĂ© les LGBT Ă  intĂ©grer l’ampleur de la violence homophobe qui peut se cacher chez des personnes Ă  premiĂšre vue paisibles et cultivĂ©es. Nous avons intĂ©grĂ© que la violence homophobe n’est pas l’apanage de "racailles de banlieue". Nous avons intĂ©grĂ© qu’il faut nous mĂ©fier des loups comme des agneaux, Ă  la ville comme au boulot

It gets better, certes, mais 2013 a indirectement servi de catalyseur et renforcĂ© l’homophobie et la violence de celleux qui l’étaient dĂ©jĂ . On peut s’appuyer sur tous les rapports annuels publiĂ©s par SOS Homophobie pour affirmer cela sans ĂȘtre taxĂ© d'exagĂ©ration.

On me dira qu'Ă©tant mon propre patron, j'ai la chance de ne pas avoir ce souci. Perdu ! Quand tu es travailleur indĂ©pendant, tu finis par ressentir ce stress de la prĂ©somption d’homophobie Ă  chaque nouveau client et nouvelle structure que tu rencontres. À chaque fois, les questions de « l’environnement est-il suffisamment safe pour tenir jusqu’à la fin du contrat ? Dans le doute, dois-je m’efforcer de bĂ©moliser mon naturel au max ? Comment cela va-t-il se passer quand ils vont percuter ? Dans quelles mesures puis-je claquer la porte le cas Ă©chĂ©ant ? Etc
 Â» đŸ€”
É-pui-sant ! đŸ˜“
Parce que oui
 tĂŽt ou tard, ils vont percuter que
 đŸłïžâ€đŸŒˆ 
Il y a deux types d’LGBT : Celleux qui ont la possibilitĂ© de « passer inaperçu·e·s Â», et celleux pour qui « y a pas photo Â». Perso, je suis dans la team de celleux qui ont une queeritude plus grande que leur placard. Je n’ai quasiment jamais eu besoin de faire de coming out, tellement je ne fais pas illusion trĂšs longtemps. Dans ma vie professionnelle, Ă  chaque fois que j’ai cessĂ© d’employer des mots neutres [2] ou de faire des pĂ©riphrases pour parler de la personne qui partage ma vie, dans 95% des cas, on m’a rĂ©pondu que je ne faisais que confirmer ce qu’iels avaient dĂ©jĂ  soupçonnĂ©. Et je ne parle mĂȘme pas des fois oĂč la question m’a Ă©tĂ© posĂ©e frontalement ! [3]

Bien souvent, on nous rĂ©torquera « Gnagnagna, de toute façon, la sexualitĂ©, c’est quelque chose de personnel. Vous ne devriez pas stresser, parce que vous ne devriez pas en parler au boulot. C’est la sphĂšreux du pri-vĂ© ! Â».
Mouais, mouais, bien sĂ»r
 mort de rire ! đŸ€Ł
DĂ©jĂ , ne serait-ce qu’au niveau de l’invisibilisation, ce genre de propos est gratinĂ© et discutable
 Ces personnes ne se rendent mĂȘme pas compte qu’elles parlent en permanence de leur conjoint et de leur hĂ©tĂ©rosexualitĂ©. Les choses se sont un peu floutĂ©es depuis l’ouverture du mariage et de l'adoption, mais jusque lĂ , le simple port d’une alliance ou la mention des « enfants qu’il a fallu accompagner Ă  l’école dans les embouteillages avant de venir travailler Â» Ă©taient des manifestations ostentatoires d’hĂ©tĂ©rosexualitĂ©. Et aujourd’hui encore, quand dans le milieu professionnel les gens te parlent de leur soirĂ©e de la veille, de leur week-end ou vacances
, s’ils sont hĂ©tĂ©rosexuels, ils ne s’embarrassent pas d’artifices linguistiques ou de mensonges quant au genre de la personne qui partage leur vie. Iels te balancent leur genre et donc leur sexualitĂ© Ă  la gueule sans mĂȘme s’en rendre compte. À tel point qu’un gaydar professionnel est absolument inutile : Si Ă  la troisiĂšme conversation, un interlocuteur·ice ne t’a toujours pas balancĂ© son hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, ding ding ding, il y a de fortes chances qu’iel soit de la famille !
En Ă©crivant cela, je pense Ă  ce client il y a un peu moins d’une dizaine d’annĂ©es qui m’avait dit Ă  la fin d’un contrat qu’il avait « Ă©tĂ© enchantĂ© de bosser avec moi Â», que j’étais « le premier gay avec lequel il collaborait Â» et que « Ă§a n’avait aucune importance puisque de toute façon c’était de l'ordre de la vie privĂ© Â». Tellement privĂ© qu’il avait donc jugĂ© opportun de m’en faire part, lol ! Je m’étais contentĂ© de sourire en me gardant bien de lui rĂ©pondre « le premier dont tu as conscience Â», parce que dans une boite de plus de 100 personnes, statistiquement, ce serait surprenant qu’il n’y ait que de l’hĂ©tĂ©ro. Pour la petite histoire, je dois prĂ©ciser que son bras droit n’était nulle autre que
 roulement de tambour
 son Ă©pouse ! Avec en bonus les regards amoureux, les allusions et petits bisous furtifs. La totale ! RĂ©p’ Ă  ça « la sphĂšre du privĂ© Â» ! Je dirais bien qu’à chaque fois que je sortais de son bureau, je dĂ©goulinais de son hĂ©tĂ©rosexualitĂ©, mais ça pourrait ĂȘtre mal interprĂ©té  Huhuhu ! đŸ€­

Long story short : mĂȘme en 2024, les personnes qui devisent doctement de ce que devrait ĂȘtre l’homosexualitĂ© dans le domaine professionnel n’ont bien souvent aucune idĂ©e de leur propre homophobie. Homophobie ordinaire, intĂ©riorisĂ©e, inconsciente, latente
 Appelez ça comme vous voulez, cela reste de l’homophobie.
Et je ne reprocherai jamais Ă  quelqu’un de ne pas sortir de son placard. Je sais trop ce que c’est de ne pas pouvoir en avoir. đŸ˜…

J’aurais bien trouze mille autres exemples pour illustrer ce papier, mais en 2024, il faut aussi savoir Ă©crire en moins de mille mots, et j’en ai dĂ©jĂ  gribouillĂ© bien trop
 đŸ˜†

Sur ces bonnes paroles, je retourne taffer


Note(s)

  1. ^ Et c’est en cela que je ne pardonnerai JAMAIS aux politiques qui se sont opposĂ©s Ă  cette loi par simple calcul Ă©lectoral. On ne joue pas avec la vie des gens. Toute cette haine montĂ©e en mayonnaise pour ensuite s’en laver les mains avec le prĂ©texte de la logique de parti ? Non. Tant que les LGBT n’auront pas eu rĂ©paration de cela par une condamnation en Justice de cette homophobie politique, il ne peut y avoir de pardon. Point barre !
  2. ^ Le neutre-oral du « mon ami » fort pratique, tout comme les classiques « nous » et le « on » indéfini pour ne citer que ceux-là...
  3. ^ « Et c'est quoi son prĂ©nom ? » quand on vient de te faire parler de "ton ami" pour les plus subtils... Â« T'es avec un homme ou une femme ? » pour les plus pieds-dans-le-plat... Â« Je peux te poser une question ? T'es homo, non ? » pour les plus Karine-Le-Marchand... et j'en passe...

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