Yann Orpheus Blog

Margot est assise dans le fauteuil du salon, absorbée par la télévision. Son regard est étrange, je ne l'avais jamais vu ainsi. A moitié teinté de colère, à moitié teinté de chagrin. Une biche blessée qui s'apprêterait à assener un coup de sabot à celui qui l'a meurtri. Elle regarde la télévision. Une émission politique sur laquelle elle a du zapper entre deux dessins animés.
"- Et bien, qu'est-ce qui te mets dans cet état ?
- Le monsieur là. Celui qui veut être président. Et bien il vient de dire un truc. Il dit que c'est pas bien pour les enfants d'avoir deux papas ou deux mamans.
- Ah. Mais ce qui compte c'est ce que tu penses toi. Tu es contente d'avoir deux papas ?
- Ben oui, mais il dit que c'est dangereux. Tu crois qu'il va m'arriver des problèmes dans ma tête ? Il parle d'équilibre psychologique. Psychologique c'est dans la tête, hein ?
- Oui, c'est dans la tête... Mais tu n'as rien à craindre. Il ne sait pas ce qu'il raconte.
- Alors pourquoi, il est méchant comme ça ? Il a dit que ce n'était pas normal pour un enfant d'avoir deux papas. Je ne suis pas normal alors ?
- Tu sais, il y a des personnes qui ont peur des différences. Tu te rappelles de la discussion qu'on a eue à propos du petit Ahmed dans ton école. Et bien c'est pareil. Le monsieur que tu as vu a la télé, comme il est tout petit, il a rapidement peur de tout ce qui n'est pas comme lui. Et deux papas dans une maison, c'est quelque chose qu'il n'arrive pas bien à comprendre dans sa petite tête parce qu'il n'a pas été élevé par des parents qui lui ont expliqué que les différences du monde sont ce qui fait sa richesse.
- Il faut faire quelque chose. On ne peut pas le laisser croire n'importe quoi. Il faut le rassurer vite, parce qu'il dit des bêtises et que tout le monde va le croire après. Et après ils vont tous dire que je ne suis pas normale. Je suis normale, moi !
- Tu as raison. Je vais lui téléphoner pour lui dire qu'il a tout faux.
- Ah la la. Moi je ne veux pas de lui en président de la France. Il est pas assez gentil.
- Rien n'est décidé encore. Il y a d'autres candidats. Tiens regarde, celui qui est à la télé maintenant. Lui aussi, il se présente.
- Le monsieur avec les grandes oreilles ?
- Oui.
- Et il dit quoi lui des enfants qui ont deux papas ?
- Il ne se mouille pas trop. Il dit qu'il est d'accord avec les choses telles qu'elles sont aujourd'hui. Je t'ai déjà adopté, et Papa Jièm aura lui aussi le droit de t'adopter. Mais encore une fois, il dit une chose et son contraire. Il n'est pas d'accord que deux papas adoptent en même temps un enfant. C'est comme pour le mariage. Il est d'accord pour que deux papas aient les mêmes droits qu'un papa et une maman, mais il ne veut pas que deux papas se marient. Le mariage d'après lui, c'est pour un homme et une femme.
- Pfff, alors toi aussi, il dit que tu n'es pas normal ?
- Ouais. Mais comme je sais que je suis normal, ce n'est pas grave. J'ai juste de la peine pour lui parce qu'il montre qu'il vit encore au siècle précédent. Et puis tu sais, ce n'est pas bien grave de ne pas être comme tout le monde. On n'est peut-être pas dans la norme tous les trois, mais on est original, c'est plus marrant, non ?
- Si tu le dis... Est-ce qu'il y en a d'autres qui veulent être président et qui sont plus intelligents ?
- Oui. Les deux dont nous avons parlé, on dit qu'ils sont "à droite". Et il y a tous les candidats de gauche qui eux sont plus ouverts. Sur la questions du mariage, comme sur celle de l'homoparentalité.
- L'homoparentalité, c'est quand deux papas ou deux mamans ont un enfant ?
- Oui.
- Alors tu vas voter pour eux, hein ?
- Tu sais, chérie, on ne vote pas pour quelqu'un sur un simple sujet qui nous est personnel. On vote pour quelqu'un sur un ensemble d'idées, une conception globale qu'on croit bien pour l'ensemble du pays. Maintenant, si ça peut te rassurer, en effet, le programme qui me séduit le plus n'est pas celui du vilain canard ou du monsieur aux grandes oreilles.
- Ouf, tu me rassures."
Mais le répit fut bref. Son regard s'assombrit à nouveau.
"- Mais si le méchant est président de la France, il va nous laisser tranquille, hein? Il va pas venir me chercher pour m'emmener dans une famille avec un papa et une maman. J'en veux pas d'autres de maman. J'en ai déjà eu une et aujourd'hui avec Tata Floflo, ça me suffit.
- Oh oui, et elle compte bien pour deux tata Floflo! Alors sois tranquille, personne ne viendra t'embêter. Et si ça arrive, je me jetterai sur lui pour lui faire des guili-guili..."
J'ai attrapé la gamine dans le canapé, et après avoir soulevé son tshirt l'ai chatouillé jusqu'à ce que ses rires couvrent le son de la télévision.
"- Bon alors, tu le veux comment ton steak ? Bien cuit ? Saignant ?
- Y a quoi avec ?
- Des haricots blancs.
- A point. Pfff. Tu devrais l'savoir quand même! On mange dans la cuisine ? J'vais mettre la table."

Je regardais le beurre fondre. Nic0las, as-tu seulement idée du mal que tes simples paroles peuvent causer dans la tête de ces enfants que tu mets à l'index ? Il ne faudrait pas que nos chemins se croisent car je pourrais bien t'assener un coup de poêle dans la figure.
Ces "Grands Hommes" qui nous parlent du "bien de l'enfant" se sont-ils seulement posés la question ?
On voit la paille dans l'oeil du voisin...