Et si je devais écrire un dernier billet sur ce blog, quel pourrait bien en être le thème ?
"J'arrête parce que, oui, faut bien le dire, 2007 c'est franchement l'année de la fin des blogs".
Non, je ne dirais pas ça. Tout simplement parce que je ne le pense pas. C'est même un des trucs les plus cons que j'ai pu lire lors de fermetures de carnet. Qui peut penser comme ça ? Quelqu'un qui n'a écrit que parce que c'était dans l'air du temps, qui n'a écrit que parce qu'il avait une audience et des statistiques qui faisaient monter la température de son orgueil.
Les stats, j'ai arrêté de les consulter à la fin de la première année. Je ne sais pas combien de visiteurs passent par ici. Je ne sais pas d'où ils viennent. Et ça me va très bien.
Non, je crois que je dirais tout simplement la vérité.
Son regard en dit long. Il est des personnes qui ont un visage qu'on appelle un livre ouvert. Si je ne suis pas le roi pour lire entre les lignes (il m'arrive même d'être le prince des gaffes et des quiproquos), j'arrive assez bien à détecter lorsqu'il y a matière à lire. Si je sens la chose plaisante, ma curiosité est telle que je vais fouiner et gratter pour en savoir plus. Dans le cas contraire, les amis savent que je suis là. Les autres doivent le sentir. Au lieu d'envoyer des messages de séduction, mes phéromones doivent répandre le bruit que j'ai des oreilles compatissantes. Bizarrement d'ailleurs.
Aussi n'ai-je pas été surpris par sa proposition d'aller déjeuner en tête-à-tête.
Le plat n'est pas encore arrivé qu'il a déjà soupiré trois fois. Ma main à couper que c'est une histoire de cœur. C'est le cas sept fois sur dix.
"Ecoute, je t'aime bien. Mais tes yeux de cocker et tes soupirs vont finir par nous gâcher le Yakitori. Alors crache donc ta Valda une bonne fois, et raconte à maman ce qui te met dans cet état."
"Hum hummm" fait celui qui s'apprête à parler après une longue période de silence histoire de se recaler les cordes vocales dans l'ordre de la gamme.
Mais comment font les doigts de celui qui s'apprête à tapoter son clavier après une session d'abstinence d'écriture?
Faire craquer mes doigts me répugne et c'est hors de question! Les laisser courir sur le clavier également. Je sais trop ce qu'ils pourraient dire et autant vous l'épargner.
Exercice périlleux donc que de maîtriser les dix colocataires de mes paumes !
A écouter La Môme Piaf chanter qu'elle ne regrette rien, je suis toujours admiratif. J'aimerai pouvoir en dire autant. Même si le texte de sa chanson porte principalement sur ce qu'on lui a fait, je ne peux m'empêcher d'élargir sur les actions dont je ne suis pas vraiment fier. Et là, je suis bourré de regrets.
Tracer à la craie sur l'asphalte les lignes d'une échelle qui me mèneront au ciel.
Viser les cases numérotées, une à une, les franchir à cloche-pied. Progresser sans se tromper pour ne pas recommencer. Des allers-retours retords à retenir son souffle pour ne pas trébucher.
Sauter le six où le galet est posé. Bientôt au sommet. Demi-tour à cheval, franchir l'obstacle et redescendre. Respirer, plus que deux paliers...
Mais le ciel s'assombrit. Coups de tonnerre et tombe la pluie... La marelle disparaît dans l'égout d'à côté.
Je prends la pierre restée sur le sol délavé et souris le regard levé.
Prends-moi la main, mon amour.
Emmène-moi jouer là où le soleil brille toujours.
Plus les années passent, plus je constate que je développe une certaine propension à l'empathie. Je n'ai jamais eu un coeur de pierre certes, mais il fallait quand même que les joies et peines d'autrui dépassent un certain seuil pour qu'une émotion extrême me gagne.
Je ne parle pas ici des bonheurs et tracas de "mes" proches auxquels j'ai toujours réagi. Ni de conséquences qui causeraient chez moi une réaction fugace telle qu'un éclat de rire ou un petit chagrin. Je pense ici aux émotions des inconnus que je croise, qui ont des répercussions significatives en affectant mon humeur durablement.
Certaines situations peuvent provoquer un large sourire que je vais arborer tout au long de la journée, quitte à passer pour une Joconde qui se serait fait tringler comme jamais. Et inversement, la vue de certaines scènes peuvent m'émouvoir au point de devoir aussi discrètement que possible essuyer des perles de rosée lacrymale au coin des yeux. Il y a aussi les visions de malheur qui me plongent dans un malaise avec la boule à l'estomac qui ne me quitte plus jusqu'au lendemain.
Depuis sept ans que j'habite ici, il y avait une certaine routine chez ce petit couple de vieux. Le matin, ils déjeunaient ensemble à la table du salon. L'après-midi, il faisait sa sieste dans la chambre pendant qu'elle regardait je-ne-sais-quelle série télévisée. Et quand 19h30 devait sonner à la grande horloge comtoise du salon. Ils passaient à table. Certainement une assiette de soupe. Sans paire de jumelles, je n'arrivais pas bien à voir et certains détails m'ont échappé. Un petit couple de vieux tout à fait normal.
Bon oui, d'accord, je matte chez les gens...Hier matin, ils sont venus avec leur tshirt rouge et leurs gros bras musclés. Des déménageurs. Ils ont commencé par faire des cartons, puis ont démonté quleques meubles. Peu après, l'appartement se vidait par la fenêtre de la salle à manger. D'autres déménageurs en bas entassaient le tout dans un camion.
J'avais repéré la grand-mère. Elle passait de fenêtre en fenêtre vêtue de sa robe de chambre bleue à grosses fleurs et donnait des indications aux intrus. Mais où était son époux? Nulle part... Serait-il...? La dernière fois que je l'avais vu, c'était en sortant du Monoprix. Il avait du mal à se déplacer et c'est sa femme qui tirait le caddie. La pauvre... C'est bien ça. Il a du clamser.
Pendant que la rose méridienne passait par la fenêtre, elle était penchée au balcon. Un dernier regard d'en haut avant de partir? Guettait-elle le retour de son vieux? Ou allait-elle le rejoindre en sautant? Si jamais elle sautait, cette pensée coupable me hanterait pour le reste de ma vie.
On ne se reconstruit pas. On ne fait qu'essayer de consolider ce qui n'a pas été détruit. Et puis comme un exercice d'équilibre, on empile une à une d'autres briques en essayant de bâtir un édifice un peu plus stable.
Tirer les rideaux. Ach, le soleil. Il blesse mon coeuR comme un poignaRd. Ne laisser pénétrer la lumière pour que l'obscurité gagne du terrain. C'est quand tous les chats sont gris qu'on identifie mieux leurs cris.
La boussole a perdu son nord et l'aiguille s'affole. Il n'y a plus de chemin tout tracé. De l'instinct ou de la réflexion, quelle voie faudra-t-il emprunter?