De l'évidence des fondations
jeudi 28 juin 2007, 12:00
Elle chantait des opéras et des opérettes sur les planches de théâtre de Turin. Mais en acceptant sa demande en mariage, elle devait renoncer à jouer les rossignols. Ce n'était pas un métier convenable pour une bonne épouse et future mère de famille.
Mais ne l'imaginez pas soumise pour autant.
Elle avait suffisamment de caractère pour imposer à ses parents l'amour qu'elle avait pour mon Grand-père ("pire qu'un étranger, un sicilien!"). Quelques années plus tard, c'est bien elle qui portait la culotte et menait à la baguette les cinq mouflets et le mari. Quand LaMama avait parlé, ils devaient tous obéir sinon "ça" tombait. Inutile de préciser que ça filait droit à la maison.
Bien des années plus tard, elle a fait la grimace quand on lui a dit mon prénom. "Mais ce n'est pas celui de son Grand-père? Ce n'est même pas Italien!". Elle a hurlé quand elle a appris que je ne passerai pas par la case baptême.
Mais ne l'imaginez pas austère pour autant.
Elle m'a accueilli à bras ouvert quand ma mère a du retourner travailler après son congé maternité. Je restais à Arras avec elle la semaine, et mes parents venaient de Paris me retrouver les week-ends. Ainsi pendant mes trois premières années.
Elle n'était déjà plus toute jeune et la forteresse s'était fissurée avec le temps. Sous les gants qu'elle enfilait parfois pour sortir, la main de fer s'était faite de velours.
A la petite école, j'attendais avec impatience les vacances scolaires pour retourner chez LaMama à Arras. Je m'y savais comme petit prince à qui on cède tout ou presque. Quand mon Grand-père roulait des yeux parce que je quittais la table avant la fin du repas, elle créait la surprise en plaidant ma cause.
Mais ne l'imaginez pas trop laxiste pour autant.
Une fois j'avais refusé de partager mon goûter avec les enfants des voisins. Je n'ai jamais récidivé. C'était une femme avec de principes. On pouvait tout lui demander, elle pouvait tout donner, mais il ne fallait pas déroger à certaines règles de respects et de justice.
Comme je l'admirais quand elle défendait la veuve et l'orphelin. Je visualise encore cette scène où dans le bus, elle s'était mise à tirer les oreilles d'un adolescent qui refusait de laisser sa place à un homme plus âgé qu'elle. Malheur à celui qui passait devant elle à une caisse ou qui jetait un papier par terre... Il avait le droit à un sermon bien virulent ponctué de "va fa'n culo", "stronzo" et autres "testa di cazzo".
Bientôt trois ans qu'"elle est partie". Je crois n'avoir jamais autant pleuré à un enterrement. J'étais son sixième enfant, elle était ma seconde maman.
Ce n'est que ce jour là, dans l'Eglise que j'ai pris conscience d'une évidence.
Elle avait forgé celui que je suis devenu. Mon caractère tient plus du sien que de celui de mes parents. Comme elle, je ne peux rester impassible quand je suis confronté à une situation qui me dérange ; je dois faire ou dire quelque chose. Comme elle, je jure comme un charretier, surtout quand on heurte les quelques valeurs que je juge essentielles. Bien d'autres points communs dans nos caractères encore...
Déjà trois ans.
Elle me manque sans me manquer.
Peut-être parce qu'"elle est souvent là".
Un souvenir chaleureux et réconfortant malgré la peine de l'absence.
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Bizarrement, ce texte est classé dans Anecdotique, la catégorie où je place les petits récits de mon existence.
Irène est cependant tout sauf anecdotique dans ma vie.
Irène est fondatrice de celui que je suis aujourd'hui.
NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.
Ce billet a reçu les commentaires suivants :
Dom :
gros bisous amour
Matoo :
Un superbe 'petit' texte Yann ! Mouacks !!!
samantdi :
Quelle femme magnifique, dans tous les sens du terme...
orpheus :
samantdi : oué, je crois que c'est exactement ça !
alain :
ma-gni-fi-que,tout comme Samantdi. Et la photo: une merveille:toi qui regarde à coté mais pas tant que çà conscient du regard de Lamama, et elle:fière et belle et amoureuse de son bambino.
Mais quelle âge a-t-elle là?on la prendrait pour la maman.Superbe cette femme ,elle devait être applaudie sur les planches
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