Le sang sur nos mains đïž
vendredi 30 juin 2023, 19:07
Parfois le sujet est si grave que je ne peux me contenter de quelques mots au milieu dâun billet En bref et en vrac. Il y aurait par ailleurs une certaine indĂ©cence dans la juxtaposition avec dâautres sujets bien plus lĂ©gers. Et comment ĂȘtre bref quand on est face Ă sa colĂšre qui doit sâexprimer ?
« En 2017, un dĂ©putĂ© sâest levĂ© contre la modification lĂ©gislative des conditions de la lĂ©gitime dĂ©fense pour les policiers* qui a ouvert la voie aux tirs mortels et Ă leur augmentation. Ce frondeur se nommait Pouria Amirshahi. Lâhistoire retiendra son nom. #Nahel #Nanterre »
Edwy Plenel sur Twitter
(* NDLR : Loi FĂ©vrier 2017 / Hollande-Cazeneuve #TrahisonSocialiste )
Nous avons hélas la mémoire courte et l'histoire ne cesse de se répéter.
Le journaliste joint à son tweet le texte de la prise de parole du député Amirshahi à l'Assemblée Nationale :
« Mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©s, mes chers collĂšgues, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, l'Histoire retiendra peut-ĂȘtre - sauf si nous en dĂ©cidons autrement - qu'au cours de ses quinze derniers jours, l'actuelle lĂ©gislature se sera conclue par l'examen d'un Ă©niĂšme texte sĂ©curitaire, poursuivant ainsi une triste dĂ©rive thĂ©orisĂ©e principalement par Nicolas Sarkozy en 2002, lors de son arrivĂ©e au ministĂšre de l'intĂ©rieur.
Si je demande le rejet de votre projet de loi, c'est parce qu'il est dĂ©sĂ©quilibrĂ©, une fois de plus ; c'est parce qu'il tente de rĂ©pondre d'une mauvaise façon au mal-ĂȘtre des policiers dans l'exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant Ă l'Ă©gard des policiers chez de nombreux citoyens. PlutĂŽt que de permettre un dĂ©bat neuf et moderne sur la police, qui rĂ©concilie et redonne confiance - ce qui est d'autant plus nĂ©cessaire dans ces temps difficiles oĂč nous devrions ĂȘtre plus unis que jamais - votre projet de loi, en renforçant les possibilitĂ©s de tir Ă vue, risque par lĂ mĂȘme de causer des morts supplĂ©mentaires. En alourdissant les peines encourues pour outrage et rĂ©bellion, elle risque d'aggraver les fractures et d'aviver les plaies.
Le DĂ©fenseur des droits lui-mĂȘme a exprimĂ© cette inquiĂ©tude et je ne suis pas le seul dans cet hĂ©micycle Ă ressentir ces doutes et Ă m'inquiĂ©ter de la portĂ©e de ce texte, ne serait-ce qu'Ă cause des dispositions que je viens d'Ă©voquer. Disons-le clairement : les violences policiĂšres, qu'elles aient lieu lors de manifestations ou lors d'interpellations, doivent cesser. C'est une condition de la confiance, que vous avez vous-mĂȘme appelĂ©e de vos vĆux, monsieur le ministre. Or votre projet de loi ne permettra pas d'y mettre fin, au contraire.
Mon histoire personnelle a Ă©tĂ© marquĂ©e par l'assassinat de Malik Oussekine le 6 dĂ©cembre 1986. Je me souviendrai longtemps aussi du comportement qui fut celui de certains agents des forces de l'ordre lors des manifestations qui ont jalonnĂ© mon parcours militant. Il m'a fallu, Ă chaque fois, faire un effort sur moi-mĂȘme - j'Ă©tais jeune alors - pour faire la part des choses, trier le bon grain de l'ivraie et continuer Ă croire dans les vertus de la police rĂ©publicaine, dans les vertus rĂ©publicaines de nos agents de sĂ»retĂ© publique. »
Pouria Amirshahi, Assemblée Nationale, séance du 7 février 2017.
On ne peut pas dire qu'on ne savait pas.
Ă chaque fois que lâon entend « comment en est-on arrivĂ© lĂ ? », il ne faut pas oublier que la responsabilitĂ© est collective.
à chaque fois que nous avons laissé passer une éniÚme loi sécuritaire en nous disant « cela ne pose aucun problÚme si on n'a rien à se reprocher »,
Ă chaque fois que nous ne nous sommes pas offusquĂ©s publiquement des dĂ©rives vers lâextrĂȘme droite du pouvoir,
Ă chaque fois que nous nous sommes contentĂ©s dâun fusible en guise de justice,
Ă chaque fois que nous votons pour des partis de droite extrĂȘme pour faire barrage Ă lâextrĂȘme droite,
Ă chaque fois que nous nous contentons de lever les yeux au ciel quand des caricatures dâĂ©ditorialistes de chaĂźnes dâinfos de droite jettent de lâhuile sur le feu,
Ă chaque fois que lâon prĂ©fĂšre une lĂ©gĂšretĂ© consensuelle sur nos rĂ©seaux sociaux plutĂŽt quâune dĂ©nonciation claire, nette et prĂ©cise,
Ă chaque fois quâon nâĂ©charpe pas ceux qui tentent de justifier les bavures policiĂšres par un passĂ© plus ou moins fantasmĂ© de dĂ©linquances des victimes,
Ă chaque fois quâon a minimisĂ© la gravitĂ© de la rĂ©pression contre des manifestants parce quâon ne se reconnaissait pas en eux,
Ă chaque fois que notre statut de blanc privilĂ©giĂ© ne nous a pas permis de comprendre lâampleur des violences faites aux individus racisĂ©s,
Ă chaque fois quâon a laissĂ© les sujets du FN faire lâordre du jour des campagnes Ă©lectorales,
Ă chaque fois quâon laisse retomber notre colĂšre quelques semaines aprĂšs un drameâŠ
Ă chaque fois queâŠ
Ă chaque fois queâŠ
nous avons fait un pas dans cette direction funeste.
Voilà comment on en est arrivé là .
La police est la main de lâapplication de la Loi. La Loi est ce qui dĂ©finit les rĂšgles de Justice. Et la Justice est rendue au nom du peuple français. Alors par transitivitĂ© de la responsabilitĂ©, le sang des violences et bavures policiĂšres se trouve aussi sur nos mains Ă tous.
Pointer du doigt les flics et/ou les banlieues est juste une parade pour se donner bonne conscience jusquâĂ la prochaine victime dont on fera encore du prĂ©nom un hashtag.
Et ne pensez que je m'exclus de tout cela, je coche quelques-uns des points mentionnés précédemment. Mea culpa. Mea maxima culpa.
AprÚs Malik Oussekine, on avait déjà dit tout cela.
On lâa redit avec Adama Traoré⊠et dâautres encore.
On le rĂ©pĂšte aujourdâhui avec Nahel.
Je suis dâautant plus en colĂšre et inquiet que je suis persuadĂ© que le meurtre de ce gamin ne changera rien. Le flic et son collĂšgue seront peut-ĂȘtre sanctionnĂ©s, peut-ĂȘtre sĂ©vĂšrement, pour l'exemple. Deux arbres en fusible qui cachent une forĂȘt. Il ne sâagit pas de deux brebis galeuses Ă abattre, mais de deux exemplaires d'un virus qui a dĂ©jĂ gangrenĂ© toute une institution. Quand bien mĂȘme le parti au pouvoir serait en mesure de comprendre cela (ce dont il est possible de douter), prendre les dĂ©cisions qui s'imposent irait contre l'opinion de son Ă©lectorat. Alors on aura lâimpression de sâĂȘtre lavĂ© les mains en les punissant pour ce crime. Et plus la sentence sera lourde moins on tremblera de peur pour lâavenir. Mais demain, quand lâextrĂȘme droite sera officiellement au pouvoir, il est fort Ă parier que le sentiment dâimpunitĂ© de cette police se sentira dĂ©complexĂ©, avec peut-ĂȘtre mĂȘme un esprit revanchard. Vision angoissante, non ?
Ă un ami qui me disait « Câest bien la merde ! », je nâai pu que rĂ©ponde « VoilĂ câquâiâsâpasse quand on chie partout pendant des annĂ©es sans tirer la chasse⊠».
Â
NDLR : Les commentaires sur les réseaux sociaux ont tendance à se perdre avec le temps dans les limbes des internets. Pire encore, selon le sujet, ils risquent d'attirer les trolls en tout genre.
Dans la mesure du possible, merci de privilĂ©gier l'expression de vos pensĂ©es ici sur ce blog, oĂč le texte est publiĂ© dans son intĂ©gralitĂ©, plutĂŽt que sur les rĂ©seaux sociaux. Et je me ferai un plaisir d'y rĂ©pondre !
Commentaires
Rien Ă ajouter. Je me sens trĂšs mal pour nos mĂŽmes, et trĂšs impuissantâŠ
Merci pour ce texte â€ïž
Rien de mieux à dire exception faite des malfaisants ,pas éduqués
qui ont fait Ćuvre contre mon fils comme sur d'autres jeunes et moins jeunes, et puis "l'ordre" et les statistiques...
La merde en un Ă©norme tas sans compostage...
NoĂ© > Franchement, jâai un respect infini pour vous, parents. Je ne sais pas comment vous faites pour ne pas vous effondrer devant vos gamins⊠Entre la crise climatique et la situation socio-politique, il doit en falloir de la force pour ne pas transfĂ©rer vos angoisses, rĂ©pondre Ă leurs questions et les rassurer sans trop leur mentir, toussa toussa⊠Respect !
La Mume > Si seulement on savait oĂč tirer la chasseâŠ
Tout est dit (et bien dit)âŠ
Yann > Merci. On aurait quand mĂȘme prĂ©fĂ©rĂ© ne pas/plus avoir Ă le direâŠ
Tous responsables mais certains ne veulent pas s'en rendre compte ou se voilent la face... c'est plus confortable !
Madleine > On est bien dâaccord sur le cĂŽtĂ© confortable du dĂ©ni.
"je suis persuadé que le meurtre de ce gamin ne changera rien"
Je crains, au contraire, qu'il change les choses, mais dans le mauvais sens. Qu'il permette de servir la soupe Ă une droite de plus en plus dĂ©complexĂ©e. Que 700.000 euros soient collectĂ©s en si peu de temps pour "soutenir le policier, sa famille et la police" est effrayant. C'est un rĂȘve pour tout parti politique, et cela montre Ă quel point une partie du pays est totalement sourde Ă tout autre discours que celui de la peur et de l'extrĂ©misme.
Marie-Aude > Cela fait hĂ©las partie des possibilitĂ©s. Jâaurais du Ă©crire « le meurtre de ce gamin ne changera rien en bien ». Croisons les doigts pour que ça nâaille pas trop trop dans le mauvais sens⊠đ€