Le sang sur nos mains đŸ–ïž

Parfois le sujet est si grave que je ne peux me contenter de quelques mots au milieu d’un billet En bref et en vrac. Il y aurait par ailleurs une certaine indĂ©cence dans la juxtaposition avec d’autres sujets bien plus lĂ©gers. Et comment ĂȘtre bref quand on est face Ă  sa colĂšre qui doit s’exprimer ?

« En 2017, un dĂ©putĂ© s’est levĂ© contre la modification lĂ©gislative des conditions de la lĂ©gitime dĂ©fense pour les policiers* qui a ouvert la voie aux tirs mortels et Ă  leur augmentation. Ce frondeur se nommait Pouria Amirshahi. L’histoire retiendra son nom. #Nahel #Nanterre Â»
Edwy Plenel sur Twitter
(* NDLR : Loi FĂ©vrier 2017 / Hollande-Cazeneuve #TrahisonSocialiste )

Nous avons hélas la mémoire courte et l'histoire ne cesse de se répéter.
Le journaliste joint à son tweet le texte de la prise de parole du député Amirshahi à l'Assemblée Nationale :

« Mesdames et messieurs les dĂ©putĂ©s, mes chers collĂšgues, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, l'Histoire retiendra peut-ĂȘtre - sauf si nous en dĂ©cidons autrement - qu'au cours de ses quinze derniers jours, l'actuelle lĂ©gislature se sera conclue par l'examen d'un Ă©niĂšme texte sĂ©curitaire, poursuivant ainsi une triste dĂ©rive thĂ©orisĂ©e principalement par Nicolas Sarkozy en 2002, lors de son arrivĂ©e au ministĂšre de l'intĂ©rieur.
Si je demande le rejet de votre projet de loi, c'est parce qu'il est dĂ©sĂ©quilibrĂ©, une fois de plus ; c'est parce qu'il tente de rĂ©pondre d'une mauvaise façon au mal-ĂȘtre des policiers dans l'exercice de leur fonction, sans tenir compte du malaise grandissant Ă  l'Ă©gard des policiers chez de nombreux citoyens. PlutĂŽt que de permettre un dĂ©bat neuf et moderne sur la police, qui rĂ©concilie et redonne confiance - ce qui est d'autant plus nĂ©cessaire dans ces temps difficiles oĂč nous devrions ĂȘtre plus unis que jamais - votre projet de loi, en renforçant les possibilitĂ©s de tir Ă  vue, risque par lĂ  mĂȘme de causer des morts supplĂ©mentaires. En alourdissant les peines encourues pour outrage et rĂ©bellion, elle risque d'aggraver les fractures et d'aviver les plaies.
Le DĂ©fenseur des droits lui-mĂȘme a exprimĂ© cette inquiĂ©tude et je ne suis pas le seul dans cet hĂ©micycle Ă  ressentir ces doutes et Ă  m'inquiĂ©ter de la portĂ©e de ce texte, ne serait-ce qu'Ă  cause des dispositions que je viens d'Ă©voquer. Disons-le clairement : les violences policiĂšres, qu'elles aient lieu lors de manifestations ou lors d'interpellations, doivent cesser. C'est une condition de la confiance, que vous avez vous-mĂȘme appelĂ©e de vos vƓux, monsieur le ministre. Or votre projet de loi ne permettra pas d'y mettre fin, au contraire.
Mon histoire personnelle a Ă©tĂ© marquĂ©e par l'assassinat de Malik Oussekine le 6 dĂ©cembre 1986. Je me souviendrai longtemps aussi du comportement qui fut celui de certains agents des forces de l'ordre lors des manifestations qui ont jalonnĂ© mon parcours militant. Il m'a fallu, Ă  chaque fois, faire un effort sur moi-mĂȘme - j'Ă©tais jeune alors - pour faire la part des choses, trier le bon grain de l'ivraie et continuer Ă  croire dans les vertus de la police rĂ©publicaine, dans les vertus rĂ©publicaines de nos agents de sĂ»retĂ© publique. Â»
Pouria Amirshahi, Assemblée Nationale, séance du 7 février 2017.

On ne peut pas dire qu'on ne savait pas.

À chaque fois que l’on entend « comment en est-on arrivĂ© lĂ  ? Â», il ne faut pas oublier que la responsabilitĂ© est collective.
À chaque fois que nous avons laissĂ© passer une Ă©niĂšme loi sĂ©curitaire en nous disant « cela ne pose aucun problĂšme si on n'a rien Ă  se reprocher Â»,
Ă  chaque fois que nous ne nous sommes pas offusquĂ©s publiquement des dĂ©rives vers l’extrĂȘme droite du pouvoir,
Ă  chaque fois que nous nous sommes contentĂ©s d’un fusible en guise de justice,
Ă  chaque fois que nous votons pour des partis de droite extrĂȘme pour faire barrage Ă  l’extrĂȘme droite,
Ă  chaque fois que nous nous contentons de lever les yeux au ciel quand des caricatures d’éditorialistes de chaĂźnes d’infos de droite jettent de l’huile sur le feu,
Ă  chaque fois que l’on prĂ©fĂšre une lĂ©gĂšretĂ© consensuelle sur nos rĂ©seaux sociaux plutĂŽt qu’une dĂ©nonciation claire, nette et prĂ©cise,
Ă  chaque fois qu’on n’écharpe pas ceux qui tentent de justifier les bavures policiĂšres par un passĂ© plus ou moins fantasmĂ© de dĂ©linquances des victimes,
Ă  chaque fois qu’on a minimisĂ© la gravitĂ© de la rĂ©pression contre des manifestants parce qu’on ne se reconnaissait pas en eux,
Ă  chaque fois que notre statut de blanc privilĂ©giĂ© ne nous a pas permis de comprendre l’ampleur des violences faites aux individus racisĂ©s,
Ă  chaque fois qu’on a laissĂ© les sujets du FN faire l’ordre du jour des campagnes Ă©lectorales,
à chaque fois qu’on laisse retomber notre colùre quelques semaines aprùs un drame

à chaque fois que

à chaque fois que

nous avons fait un pas dans cette direction funeste.
Voilà comment on en est arrivé là.

La police est la main de l’application de la Loi. La Loi est ce qui dĂ©finit les rĂšgles de Justice. Et la Justice est rendue au nom du peuple français. Alors par transitivitĂ© de la responsabilitĂ©, le sang des violences et bavures policiĂšres se trouve aussi sur nos mains Ă  tous.
Pointer du doigt les flics et/ou les banlieues est juste une parade pour se donner bonne conscience jusqu’à la prochaine victime dont on fera encore du prĂ©nom un hashtag.
Et ne pensez que je m'exclus de tout cela, je coche quelques-uns des points mentionnés précédemment. Mea culpa. Mea maxima culpa.

AprÚs Malik Oussekine, on avait déjà dit tout cela.
On l’a redit avec Adama Traoré  et d’autres encore.
On le rĂ©pĂšte aujourd’hui avec Nahel.

Tous responsables des violences policiĂšres

Je suis d’autant plus en colĂšre et inquiet que je suis persuadĂ© que le meurtre de ce gamin ne changera rien. Le flic et son collĂšgue seront peut-ĂȘtre sanctionnĂ©s, peut-ĂȘtre sĂ©vĂšrement, pour l'exemple. Deux arbres en fusible qui cachent une forĂȘt. Il ne s’agit pas de deux brebis galeuses Ă  abattre, mais de deux exemplaires d'un virus qui a dĂ©jĂ  gangrenĂ© toute une institution. Quand bien mĂȘme le parti au pouvoir serait en mesure de comprendre cela (ce dont il est possible de douter), prendre les dĂ©cisions qui s'imposent irait contre l'opinion de son Ă©lectorat. Alors on aura l’impression de s’ĂȘtre lavĂ© les mains en les punissant pour ce crime. Et plus la sentence sera lourde moins on tremblera de peur pour l’avenir. Mais demain, quand l’extrĂȘme droite sera officiellement au pouvoir, il est fort Ă  parier que le sentiment d’impunitĂ© de cette police se sentira dĂ©complexĂ©, avec peut-ĂȘtre mĂȘme un esprit revanchard. Vision angoissante, non ?

À un ami qui me disait « C’est bien la merde ! », je n’ai pu que rĂ©ponde  Â« VoilĂ  c’qu’i’s’passe quand on chie partout pendant des annĂ©es sans tirer la chasse
 ».

 

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