Pantone : Le Noir

Noir

"Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir" chantait une vieille célébrité étrangère (ou pas, on ne sait plus trop). Peut-être parce qu'il est vu par beaucoup comme l'absence de couleur et donc absence de vie. Et tel est le cas en synthèse additive (ajout de lumière monochromatique). Alors qu'en synthèse soustractive (combinaison par absorption des couleurs), le noir résulte du mélange des trois couleurs primaires. Il contient alors toutes les couleurs. Vu sous cet angle, il est donc plein d'espoir !

Côté pile
Quand on veut parler du noir, on pense immédiatement au deuil. Enfin, dans les civilisations où on porte les défunts en terre, dans l'obscurité. On s'habille ainsi de sombres vêtements alors que dans nombreux pays d'Asie, où on considère le mort comme un corps qui s'élève vers la lumière, la couleur du deuil devient le blanc.
Le noir renvoie à tout l'imaginaire du monde souterrain, des ténèbres, des enfers (qu'il partage avec le rouge d'ailleurs). On le trouve sur le corbillard et sur les corbeaux qui planent au dessus des cimetières Farmeriens... On parle aussi de magie noire, d'ange noir, de pierre noire. Est-ce alors si surprenant si le chat noir est un mauvais présage?
Son côté inquiétant nous conditionne depuis la plus tendre enfance. Le monstre qu'on imagine à l'affût dans l'obscurité du placard, la veilleuse qu'on réclame ou la porte qu'on demande à laisser entrouverte quand vient l'heure d'éteindre la lumière...
Cela subsiste dans certaines expressions. "Jeter un regard noir à quelqu'un" n'est pas des plus amical. Et pareil, si vous êtes sur "une liste noire": attendez-vous à quelques déconvenues.
En politique, le noir est également semeur de trouble. C'est l'emblème des pirates qui a été repris plus tard par les anarchistes au XIXème puis par des partis d'extrême droite. Il est d'ailleurs amusant de constater que là encore les deux extrêmes se sont rejoints sur le terrain du choix de la couleur.
Le noir a également souffert de son opposition au blanc. Le blanc de la propreté implique directement le noir de la crasse. Le noir c'est sale, c'est mal. Et pourtant, je peux vous le certifier, il n'y a rien de plus pénible à entretenir que des meubles noirs. La moindre poussière y est visible. Je pourrais passer ma vie à astiquer étagères, bibliothèques, tables et bureau (notez bien la présence du conditionnel!).
On retrouve d'ailleurs cette opposition sur l'échiquier où blancs et noirs s'affrontent (alors qu'à sa création dans l'Inde du VIème siècle, le rouge remplaçait le blanc). Et prenez aussi les chapeaux des cowboys, blanc pour les gentils, noir pour les méchants. Là encore, le noir fait peur. Et Dark Vador? Aurait-il été aussi inquiétant si son costume avait été d'un blanc virginal? (Bon d'accord, Zorro est gentil. Mais il inquiétait les méchants!)

(ndlr : Je fais l'impasse sur le racialisme qui mène aux théories racistes. Il est des portes que je laisse volontiers fermée.)

Côté face
Mais le noir n'est pas que cela. Comme toutes les couleurs (et c'est bien pour cela que je le considère comme une couleur à part entière), il a ses ambivalences.
Là aussi, elles sont ancrées au plus profond de notre culture. Le distinguo dans de nombreuses langues était fait entre le noir brillant (positif) et le noir mat (négatif). Niger et ater en latin par exemple. L'un étant valorisé, l'autre pas. Tournons nous donc vers cet autre noir...
Loin dans le passé, en Egypte antique, le mot kem qui désigne le noir veut également dire (entre autres choses) parfait ou mener quelque chose à bien. Ailleurs, il a été porté très tôt par les moines. Ceci lui a conféré des valeurs d'humilité et de respectabilité. Imposé par la Réforme, il a muté en noir de l'autorité. On le retrouve ainsi plus tard sur les habits des juges, des arbitres et des princes de la Renaissance. Les documents administratifs et légaux sont encore imprimés dans cette optique d'autorité. L'impression noire sur papier blanc est d'ailleurs réglementée en France.
Et c'est ce même noir respectable qui est devenu la couleur des beaux vêtements de cérémonie, le smoking d'abord et puis les chemises, cravates, chaussures vernies, et nombreuses robes glamours des stars. Le noir a évolué vers le luxe et le classieux. La sobriété du noir n'est pas étrangère à cela non plus.
Avec le pétrole, appelé or noir, il tourne même au précieux.
Le noir véhicule également des valeurs morales. Si on devait attribuer une couleur au respect, il est à parier qu'il sortirait spontanément en tête.
Comment ne pas parler ici du film Pleasantville où deux jeunes de notre époque sont catapultés dans une vieille série télé des années 50, en noir et blanc donc. Au fur et à mesure qu'ils font bouger les choses, modernisent les vieilles habitudes et conventions, ils font progressivement basculer ce monde respectable et ordonné dans la couleur. Bien entendu, ces changements ne se font pas sans une bonne dose de contre-révolution et de puritanisme exacerbé. La bichromie noir et blanc de la bienséance s'oppose alors au subversif de la couleur.
Et c'est exactement dans cet esprit protestant que dans les années 20, Henry Ford a refusé de sortir ses voitures en d'autres teintes. Sa petite phrase "vous pouvez choisir la couleur que vous souhaitez à condition que ce soit le noir" est chargée de ce rejet.
On retrouve ce clivage en photographie, où le noir et blanc est souvent vu comme un gage de qualité, de sérieux, de valeur établie alors que la couleur... diantre que c'est vulgaire (note pour moi-même : faire un billet à part sur ce sujet en photo tant il y a à dire). Avec la généralisation de la photo numérique qui met ce loisir à porter de tous, je suis prêt à parier que ce n'est pas prêt de changer...

Je dois bien avouer que j'aime le noir. Non pas que je verse à fond dans la mode gothique qui s'est approprié son côté obscur et torturé. Il y a juste que je n'ai pas trouvé mieux pour révéler par contraste d'autres éléments. Il y a le blanc, certes. Mais, je l'ai déjà expliqué dans le billet respectif, il me fatigue alors que le noir est reposant (toujours la théorie de l'absorption des couleurs). Son utilisation est hélas toujours risquée. On m'a plusieurs fois reproché de "faire triste".
J'aime aussi le noir quand il qualifie le chocolat. Même s'il ne l'est pas, c'est le meilleur.

Quelques repères pour DomChou, mon daltonique préféré :
Noir c'est donc la couleur des corbillards, des corbeaux, de juge, de Dark Vador, du chapeau de cowboy, de la robe du moine, du smoking, des tenues de soirées et de gala mais aussi de la panthère noire, des bonbons à la réglisse et de la truffe, de l'onyx, du charbon et de l'asphalte, et en musique de la noire et des croches...
Et si tu préfères les chiffres, utilise un des codes suivants dans ton logiciel :
Hexa : #000000 / RVB : 0, 0, 0 / CMJN : 0, 0, 0, 100

En résumé, choisissez le noir pour exprimer :
Les peurs, la mort, le mal mais aussi l'autorité, le luxe, la sobriété, l'ordre et le respect.
Ou osez et faites comme il vous plaît...

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Billet #6 de la série Pantone

 

NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.

Ce billet a reçu les commentaires suivants :

Olivier Autissier :
Ton conditionnel signifie que tu n'astiques pas ou que tu n'as pas de meubles noirs ?

TarValanion :
Le noir, c'est chic, le noir c'est sobre. Le noir, ca s'accorde avec tout le reste, c'est universel. Le noir c'est reposant, c'est calme.
Le noir c'est aussi salissant que le blanc, mais pas de la meme maniere.

dom :
ttssss !
'tain le noir commence ça ramasse trop la poussière !
grrrr

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