Dancefloor des sens 2/3

Le plus grand changement en arrivant au lycée est de voir Emmanuelle avec son nouveau copain qui la pelote aux interclasses.  Elle avait deux ans de plus que moi, et donc quand j'arrive en seconde, cela faisait déjà un an qu'elle était au lycée et s'était trouvée un mâle de son âge. Oh, rien de bien grave, rétrospectivement je constate ne pas avoir eu beaucoup de peine. Et puis j'avais rencontré Véronique lors d'un séjour linguistique en Angleterre.
La petite bande du collège a implosé, chacun dans une filière différente, voire même un lycée différent. Bien sûr, nous nous croisons entre deux cours, au café, ou à l'arrêt de bus, mais il faut bien l'avouer, nous nous sommes tous fait de nouveaux amis, et des liens, que nous pensions solides parce que nous avions grandi ensemble, se sont finalement bien effilochés. L'avenir me dira que ce n'est qu'un prélude avant la grande séparation des années fac.

En 1986, je suis en seconde pendant les manifestations estudiantines contre les lois Devaquet. Un "grand" de terminale prend régulièrement la parole pour nous rassembler dans la grève contre le pouvoir. Je ne comprends pas toujours tous les aboutissants de ses propos mais je bois ces paroles comme du petit lait. Lylian. Des lèvres charnues, un jean déchiré aux genoux et aux fesses qui laisse voir un caleçon rayé bleu et blanc.

Tout suit son cours normalement jusqu'à la terminale. J'ai maintenant dix-sept ans. Après Véronique, c'est Sylvie. Il y a bien longtemps que je n'ai pas joué à Action ou Vérité et que je n'ai pas eu l'occasion d'embrasser un garçon. Pourtant, je suis toujours conscient de cet intérêt que j'ai pour les corps masculins qui peuplent déjà assez fréquemment mes fantasmes nocturnes. Même si cela ne m'empêche pas de batifoler avec des filles, je sais que bientôt comme un chat fasciné par une pelote de laine, il faudra tirer sur ce fil et voir où il me conduit.
Au lycée, j'ai pourtant bien repéré un homosexuel parmi les élèves. Mais je ne suis pas du tout attiré par son style aristo et ses chemises à jabots. Ce qui ne m'empêche pas d'épier régulièrement les conversations qu'il a avec un autre garçon lorsqu'il lui narre ces soirées en discothèque. Alors que ma vie sociale et affective est plutôt calme hormis quelques soirées ici et là, lui semble s'amuser régulièrement dans les clubs de la capitale au milieu des garçons. Il parle du Balajo, du Palace, du Broad, des garçons qu'il y rencontre,  ainsi que des nuits torrides qui s'ensuivent. Moi, j'écoute et j'imagine.

Sylvie me plaque pendant les vacances de Pâques. Selon elle, je n'étais pas assez amoureux et ne m'impliquais suffisamment. Okay, j'en prends acte. Il me reste un week-end avant la reprise des cours. Le samedi soir, je prétexte une soirée chez un copain du lycée et prends un ticket de train pour Paris. Auparavant j'avais noté l'adresse d'une boite recommandée par Son Excellence aux Jabots. Taraudé par la peur de l'inconnu, je suis encore incapable aujourd'hui de me souvenir du nom du Club en question (je crois sans aucune certitude qu'il s'agissait du Scorpion). Perturbé par ce que je vais voir et vivre, je me dirige comme un robot vers la porte d'entrée de ce monde inconnu et convoité. Je redoute qu'on me demande une pièce d'identité. Et s'ils se rendent compte que je ne suis pas majeur! Et s'ils appellent les parents pour qu'ils viennent me récupérer! Non, je passe le colosse de l'entrée sans problème et après un passage au vestiaire, descend les marches vers la piste de danse.
Il y a des garçons mais aussi quelques filles. Ça me rassure. Il est encore tôt, peu de personnes dansent, les autres sont agglutinés au bar. Je m'assois dans un coin, j'observe et souris bêtement en regardant les jeux de lumières, le pied marquant le tempo.
La discothèque se remplie. La piste également. Je remarque que tout le monde danse plutôt normalement. Je devais m'attendre à des excentricités ou des choses inimaginables. Je me lance sur la dancefloor.

En 1989, le groupe INXS qui cartonne avec 'I need you tonight'.
"Tu Du Du Tududududududu
Tu Du Du Tududududududu
All you got is this moment
Twenty-first century is yesterday
You can care all you want
Everybody does yeah that's okay"
Oui allez, that's okay, je suis à l'aise. Les lumières tournoient dans tous les sens! Rien de comparable avec les boums du Chalet du Lac ou des rampes de spots des soirées du Lycée. Ici ça brille de partout. Je suis heureux, mon sourire doit le montrer à tous.
"So slide over here
And give me a moment
Your moves are so raw
I've got to let you know
You're one of my kind"
Un mec me retourne le sourire béat que j'affiche à tout le monde. Je vois bien que petit à petit il se rapproche pour danser à proximité de moi. Je fais comme si je n'avais rien remarqué. De temps en temps, je lui jette un regard, pour voir ce qu'il fait. Il me regarde, je détourne les yeux. Je me dis que dans le noir, on ne doit pas me voir rougir. Il doit avoir dans les 25 ans, plus grand que moi, plus à l'aise aussi.
"I need you tonight
'Cause I'm not sleeping
There's something about you girl
That makes me sweat"
Après quelques regards, il s'approche et vient me parler à l'oreille tout en continuant à danser. "On va peut-être arrêter de jouer au chat et à la souris". Je ne sais quoi répondre. Stupide sourire. On continue à danser. A chaque balayage de lumière, j'observe un peu plus son visage, tantôt rouge, tantôt jaune, en fonction du spot. Oui, il n'est pas mal du tout. Il bouge bien aussi.
Il a commandé deux whisky-coca au bar et nous sommes maintenant à discuter sur les fauteuils autour de la piste. Dans la pénombre, il me questionne. Le souvenir de la discussion est un peu flou, je me rappelle juste lui mentir sur mon âge en me rajoutant un an. Ce soir, je suis majeur et responsable de mes actes. Nous passerons la soirée à discuter, à danser jusqu'au moment où assis à nouveau sur les canapés, il approche son visage du mien et pose sa bouche sur la mienne. Les lèvres s'ouvrent, les langues se cherchent et commence une autre danse. Mon premier baiser à un garçon qui aime les garçons. Commence alors ce que je suis venu chercher. Mes sens sont en éveil et je me laisse guider. Dirige et je te suivrai. Il glisse sa main sous mon t-shirt. J'en fait autant. Son torse est doux et ferme. Il s'attarde sur mon téton pendant que je joue avec son nombril, nos langues en pleine discussion.
Il marque une pause, le temps de finir son verre, me demande si je veux danser. Je ne suis pas contrariant. Nous retournons sous les spotlights. L'heure tourne. A nouveau sur un canapé dans l'obscurité en pleine activité labiale, je sens sa main descendre sous mon t-shirt jusqu'à la ceinture de mon jean. Il ne va quand même pas me palper ici devant tout le monde! Sa main se faufile jusqu'au slip où elle saisit un sexe déjà bien tendu. Douce et brûlante caresse. Je sens mon pouls battre la chamade jusque dans mes oreilles. Est-ce que je dois faire pareil? Ma main reste paralysée sur sa cuisse. "Tu aimes?" me demande-t-il? "Ça se voit, non?".
Un peu plus tard, ma main trouvera par le même chemin son intimité. Je tiens maintenant dans ma main ce sexe qui ressemble au mien mais qui n'est pas le mien. Il est chaud, ferme. Mes baisers se font plus fougueux. Jusqu'où cela va-t-il aller? Sous le feu de nos caresses réciproques, je perds complètement la notion du temps.

"Il faut que j'aille me coucher. J'ai une grosse journée demain! Mais j'espère bien te revoir. Tu veux mon numéro de téléphone ?". Il me donne une carte de visite. Il sait que je vis chez mes parents et ne me demande pas le mien. Au vestiaire en attendant nos blousons, nous continuons à nous embrasser. Un garçon nous dit que nous avons été chanceux ce soir, lui rentre bredouille se branler avant de se coucher. C'est donc ça une boite homo, on se tripote devant tout le monde et on parle de cul avec le premier venu?
Il se propose de me déposer en voiture à la Gare du Nord où je prendrai le premier RER pour rejoindre mon domicile. Il s'arrête devant la gare où nous resterons encore un bon moment à nous galocher. Il me dit en vouloir plus mais pas dans une voiture. Je promets de le rappeler. Il démarre et s'éloigne.

Je dois encore attendre une demi-heure avant le premier train. Sur le quai tout se mélange dans ma tête. Qu'ai-je fait? Pelotage en public! En plus je suis mineur! Putain, qu'est-ce que c'était bien! Je le rappelle demain!
Je me faufile jusqu'à ma chambre où les tympans sifflants, je parviens à trouver le sommeil une main posée sur le sexe.

Le lendemain, j'aurai le droit à la morale paternelle. Il me rappelle que les épreuves du Bac commencent bientôt et qu'il serait sage que j'arrête les sorties pour me concentrer sur les révisions. Je promets d'être sage.
Le lundi sur le chemin du lycée, je jette la carte de visite dans une poubelle.

(à suivre)

NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.
Série Dancefloor des sens : Billet 1 / Billet 2 / Billet 3 / Épilogue

Ce billet a reçu les commentaires suivants :

TarValanion :
ah... le fameux bac...
Combien de sorties, combien de rencarts ont du être annulés à cause de cet obstacle?
Encore une fois, tu nous livres là un magnifique texte. Merci à toi.
Au fait, tu comptes participer au recueil lancé par Pascal?

Orpheus :
TarValanion : Ouais... mais je crois que je me suis bien rattrapé par la suite ! clin d`oeil
Merci pour le "magnifique". Maintenant est-ce suffisemment "magnifique" pour interesser Pascal et son recueil? Je ne pense pas qu'il l'ait lu. On verra quand ce sera finit, peut-être je lui enverrai par mail.

Babar :
Arf ! Elle est où c'te poubelle, que j'aille voir si la carte de visite n'y est pas encore ??

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