Un Sputnik dans les étoiles 🌟

Visage d'un garçon, avec des lunettes de soleil, barbu avec un crête en guise de coiffure
Philippe (à Nice, Printemps 2008)
1967 🥀 2024

Philippe était certainement un des garçons les plus lumineux, flamboyants et fascinants que j’ai eu la chance de rencontrer. J’avais à peine 24 ans, il en avait 4 de plus. Nos chemins se sont croisés au siècle dernier dans les rayons de Marks & Spencer, où nous travaillions, lui à plein temps au rayon des costumes homme, moi à temps partiel au service clientèle en job étudiant.

Philippe avait ce charisme qui faisait qu’on était automatiquement attiré vers lui et cette joie de vivre qui mettait des paillettes dans la vie de quiconque le côtoyait. J’ai connu Philippe à une époque où être ouvertement gay sur son lieu de travail était beaucoup moins évident qu’aujourd’hui. J’ai connu Philippe à une époque où je gardais mon homosexualité pour moi, même si j'avais déjà une bonne petite expérience. J’avais néanmoins fait sonner son gaydar, et il m’a pris sous son aile.
Dans ce monde sans internet et réseaux sociaux, où on ne pouvait que compter sur son entourage réel en guise de représentativité, Philippe est LA personne qui a ouvert les portes de mon placard et m’a montré que je pouvais en sortir. Sans me brusquer, en me laissant le temps de faire la chose à mon rythme. Est-ce que ma vie aurait été différente si je ne l’avais pas connu ? Oh oui. Indiscutablement.

Philippe avait également une identité alternative et s'adonnait à l'art du Drag, ce qui représentait pour moi l'ultime subversion des codes (la chose n’avait pas encore été popularisée dans l’hexagone et dans le monde par RuPaul). Pas du tout dans le genre Instagram Pageant Queen, plutôt dans le genre Rude Comedy Queen. Son drag name était Sputnik III. Impossible hélas de remettre la main sur une photo de lui en créature. C’était aussi une époque sans smartphone pour immortaliser chaque minute de nos vies. J’ai des souvenirs mémorables de lui au Palace, au Scorpion, ou au Queen. Les plus fous certainement pendant des vacances à Malte ou en Tunisie. Imaginez un peu la sidération des gens dans les discos de La Valette ou à Hammamet devant une drag queen dans les 90's ! Choc des cultures. C’était ça aussi, Philippe, une folle furieuse qui n’hésitait pas à prêcher la bonne parole, jusqu’en terres pas franchement gay friendly…

Lors d’une de nos soirées hebdomadaires entre amis, Philippe nous a confié qu’il venait d’apprendre sa séropositivité. Un choc. Une telle annonce était beaucoup plus lourde en 1995 où l’AZT était encore la seule arme (à l'efficacité assez relative) contre le fléau. Nous avons beaucoup pleuré ce soir-là. Le lendemain, il était radieux comme si de rien n’était. « On en parle que si j’en parle d’abord. Sinon, on fait comme si… Â». L’année suivante, l’arrivée des trithérapies et surtout leurs premiers résultats ont éloigné l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Envie de tourner une page, prise de conscience que le temps est compté, besoin de nouveaux projets et de changer d’air, Philippe a décidé de quitter Paris. D’abord pour Bordeaux puis pour Nice, région où il est né. Je perdais celui que je considérais un peu comme le grand frère que je n’ai pas eu.

Philippe était impliqué dans la vie de la communauté. Peu avare de son temps, il assurait des permanences téléphoniques dans les centres gays et lesbiens des villes qu’il a traversées. J’imagine qu’il a mis du baume sur de nombreuses plaies. Un mec bien, tellement bien. Je pourrais en dire bien plus encore…

La vie a fait que les liens se sont distendus au fil du temps. Nos visites dans nos villes respectives se sont d’abord espacées, puis les coups de téléphone sont devenus occasionnels. On gardait néanmoins un tout petit contact épisodique. J’admirais tellement son courage d’avoir radicalement changé son fusil d’épaule pour embrasser une nouvelle carrière de photographe. Certainement un moyen de figer l’instant, lui qui trouvait que tout filait trop vite. Lucide sur son décalage avec la renommée éclair des jeunes artistes sur Instagram, il était d’autant plus fier d’avoir pu exposer.

Il y a une phrase de Frédéric Dard qui dit « Si j’avais su que je l’aimais tant, je l’aurais aimé davantage ». Cela est vrai en amour comme en amitié. Je m’en veux de ne pas avoir entretenu cette flamme. Je le paye en apprenant son décès six mois après les funérailles. Un bien piètre ami que je fais… On ne mérite pas toujours l’amitié qu’on reçoit. Sentiment de honte sur ce coup-là.

3 garçons assis dans l'herbe
GayPride @ Paris 1998

J’ai retrouvé dans mes archives cette seule photo où nous sommes ensemble. Philippe en blonde platine, moi avec des lunettes de soleil improbables et mon mec de l’époque au milieu… Elle a été prise à Paris, sur la place de la République (où il y avait encore des pelouses), le 20 juin 1998 après une longue marche de Gaypride particulièrement militante, puisqu’elle se déroulait dans le contexte du Pacs qui devait être voté à l'automne. Nous étions confiants et loin de nous douter du fiasco de ce premier vote… 
Je vais chérir et conserver cette photographie comme un trésor.

Adieu Philippe. 💋
Rest in Kitsch, my friend.

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