Le sacrifice de Pénélope

La voiture s'arrête au feu. Sur le trottoir, une vendeuse du port de pêche s'est installée et clame "Langouste, langouste" à qui veut l'entendre. Comment ne pas l'entendre d'ailleurs. Sa voix stridente résonne encore à mes oreilles. D'un seul regard, je comprends que Jièm est tenté. "Chiche ?". Il gare la voiture (ne me dites pas que vous êtes surpris d'apprendre que je ne suis que passager).

Panier de langoustes

 

Les pêcheurs viennent d'arriver sur la plage. Le marché où leur récolte est installée nous certifie la fraicheur des victuailles. Dans le panier de la vendeuse, les langoustes agitent frénétiquement leurs pattes, antennes et frétillent de la queue. Jièm également suis-je bien obligé d'écrire.
L'honneur m'incombe de choisir la promise. Je pointe une bonne dodue, bien alerte, à la queue bien épaisse. La vendeuse la pèse à 750 grammes et après un savant calcul nous la cède pour 20 euros. La langouste échoue dans un sac plastique. Nous reprenons la voiture et traçons la route jusqu'à notre bungalow.
La langouste est à mes pieds, près du ventilateur qui la tient au frais.
Je décide de l'appeler Pénélope, en hommage à celle qui, fidèle au port, a attendu son promis. Pas de chance pour cette langouste, c'est sur nous qu'elle est tombée.

Gober une langouste

Et là, je commence à culpabiliser. Nommer un animal, c'est le personnifier, s'attacher affectivement. Le doute commence à m'envahir. Et comme je ne raffole pas des produits de la mer...
"- Pauvre Pénélope. Si ça se trouve, c'est une mère de famille. Tu vois, si on était des gars bien, on irait la rejeter à l'eau.
- Libre à toi de balancer ta moitié à la mer une fois qu'on l'aura découpé en deux. Moi, je vais m'en lécher les doigts."
Inutile d'attribuer les propos précédents, vous aurez compris qu'on ne rigole pas avec le goût prononcé de mon homme pour les crustacés.

Peu après, nous sommes arrivés à destination. Déjà Jièm fait chauffer les braises. Pendant ce temps, j'asperge Pénélope d'eau pour la rafraichir un peu. Il faut que sa dernière heure soit mémorable. Je la laisse se prélasser au soleil au bord de la piscine pendant que je fume sa dernière cigarette.

 
Langouste au bord de la piscine

 

Le sacrifice

 

Jièm me donne le couteau. Aurais-je le cran de sacrifier Pénélope sur l'autel de notre appétit?
"A trois, je lui plante un grand coup dans le crâne. Un... deux... deux et demi... deux et demi... deux et demi...". Shlaaaaaak ! Loupé, à côté, même pas effleuré une patte.
Il attrape le couteau, et sans même compter, d'un geste franc et précis frappe la belle en plein milieu de la tête.
"Krrrrrtchhh Krrrrrrrrrtchh Krrrrrrtchhhhh Krrrrrrrrrtch !" fait l'animal en battant des pattes et des antennes. Je pars en courant, les mains sur les yeux. "Ahhhh! Quelle horreur! Elle crie! C'est atroce! Assassin!"
Quinze secondes plus tard, Pénélope divisée en deux dans le sens de la longueur avait finit de gémir. Jièm l'a déjà installée sur le grill quand je daigne réapparaître.
J'observe Pénélope d'un regard plein de compassion quand je vois sur les deux moitiés les pattes bouger et la carcasse se soulever.
"Ahhhhh! Elle bouge! C'est horriiiible, elle vit encore!". Jièm tente de me rassurer en me parlant des terminaisons nerveuses. Je cours me réfugier dans la piscine.

Le fumet me tire de mon bain.

Une fois à table, j'ai gouté Pénélope. Et bien, elle était particulièrement savoureuse.
J'ai laissé échapper un dernier "Pauvre bête quand même!" pour avoir bonne conscience.
Jièm a répondu "Ça suffit maintenant" en désignant le long couteau du sacrifice.
Ce regard éloquant a permis à la culpabilité de s'envoler.

Langouste au barbecue

 

A table !

 

NotaBene :
Ce billet a été initialement publié sur la première version du blog.

Ce billet a reçu les commentaires suivants :

Matoo :
Ah non mais moi j'aurais pas pu hein !!! La province te fait du mal mon Orphéuschou !!! Revieeeeeeens !!! pompom

dom :
Heurk !
Moi c'est un truc que j'envisage même pô ! Déjà que j'aime pô les bébétes qui courent dans l'eau mais je vois bien Smab armé d'un surin pour trucider la belle pour s'en régaler, heurk !
beurk

TarValanion :
Comme Dom, tiens! Toutes ces emotions negatives sont ta punition pour avoir approché de si pres une bestiole avec plus de pattes que toi.
Par contre, sur la quatrieme photo, vetu de presque rien et preparant ton repas fraichement peche avec une arme blanche, tu fais tres "bon sauvage". Genre Robinson Crusoë, mais sans la barbe, en plus miam, quoi! amour

orpheus :
MatooChou > Bah, ayé, je suis de retour ! Bon d'accord, je brouille les pistes avec le récit au présent, que je trouve plus vivant.
DomChou > Oui, J'le vois bien en cuisinier-bourreau le SmabChou. Même sous son apparence de grand tendre.
TarValChou > Et beh, bonhomme !?! On s'égare ? langue

Le Citadin :
Même pas cap !!
On fait sa maline en ouvrant grand la bouche (pourquoi ne suis-je pas surpris ? ...) et en faisant mine de transpercer la pôv langouste; mais le moment fatidique arrivé, on flanche !!

panama :
Rhôô la la ! Il faut tuer le cerveau avant de la faire griller (ou bouillir). C'est simple, tu prends un couteau pointu ou un tournevis, tu l'enfonces derrière à la jonction entre la tête et la queue, tu trifouilles et hop ! le cerveau est mort mais le reste toujours vivant. Comme ça elle ne sentira rien quand elle sera grillée vive. gniark
... ben quoi, je regardais la cuisine des mousquetaires moi ! huh
Humm... a dévorer des yeux (j'aime bien la photo num 4 aussi langue )
Euh...

mume :
Dom n'aime pas les crustacés mais moi j'aiderai vaillamment Smab !
Mème que je ferai la mayonnaise

Stefirst :
Ca me rappelle un fameux poulet aux écrevisses. Bidounours les a retrouvé dans la baignoire avec, tout comme Pénélope, pour chacun un prénom.

Garfieldd :
j'aime beaucoup la photo 5... mais je refuse penser à la vie d'avant, quand je mange !

alain :
Ah moi j'aurais aidé jiem sans problème rire Un homme c'est tj nécessire à la maison langue
Elle était délicieuse n'est-ce pas? et mes photos préférées la 4 et la 6 pardi clin d`oeil

orpheus :
LaCitadine > j'aurais bien voulu t'y voir (...pas ouvrir la bouche mais trancher la bête, hein!)
Panama > ben c'est ce qu'on a fait... mais crois moi, elle hurle quand même.
LaMumeChou > Ah oué, la mayo, ça, c'est dans mes cordes.
Stefirst > Et c'était quoi les prénoms ? Buffy et Drusila ? rire
GarfiChou > Parce que tu arrives à choisir ce à quoi tu penses, toi ? J'aimerais vachement avoir ce contrôle : "refuser de penser à un truc". Ça s'achete ? (Pleeeeease, ne me dites pas que tout le monde en est capable!)
Alain > Toujours. Et pas que pour cuisiner. Là, je suis vernis, Jièm sait tout faire !

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