Ce qu'il y a de bien avec les couleurs c'est qu'il y en a une kyrielle et qu'on peut jouer avec à l'infini. Alors pourquoi se limiter aux six teintes évoquées dans cette série de billet ? Souvent quand on m'en a parlé, on m'a demandé : "et le rose, l'orange, le marron... ?"
Déjà, ce n'est qu'avec la création des langues romanes, que les vocables rose, orange sont apparus. Le rose était auparavant défini de rouge clair ou rouge blanc, et pour le violet foncé, le latin médiéval disait "subniger", un demi-noir. Seules les six couleurs évoquées avaient leur mot propre. Les autres n'étaient que des déclinaisons. Cependant, comme les symboliques attachées à ces variantes n'étaient pas forcement les mêmes que celles de la couleur originale, on peut penser qu'il y avait un réel besoin de créer un nouveau mot.
Alors, je ne vais pas me lancer dans une saison 2. Juste je vais profiter de cette conclusion pour effleurer celles laissées pour compte.
"Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir" chantait une vieille célébrité étrangère (ou pas, on ne sait plus trop). Peut-être parce qu'il est vu par beaucoup comme l'absence de couleur et donc absence de vie. Et tel est le cas en synthèse additive (ajout de lumière monochromatique). Alors qu'en synthèse soustractive (combinaison par absorption des couleurs), le noir résulte du mélange des trois couleurs primaires. Il contient alors toutes les couleurs. Vu sous cet angle, il est donc plein d'espoir !
Côté pile
Quand on veut parler du noir, on pense immédiatement au deuil. Enfin, dans les civilisations où on porte les défunts en terre, dans l'obscurité. On s'habille ainsi de sombres vêtements alors que dans nombreux pays d'Asie, où on considère le mort comme un corps qui s'élève vers la lumière, la couleur du deuil devient le blanc.
Le noir renvoie à tout l'imaginaire du monde souterrain, des ténèbres, des enfers (qu'il partage avec le rouge d'ailleurs). On le trouve sur le corbillard et sur les corbeaux qui planent au dessus des cimetières Farmeriens... On parle aussi de magie noire, d'ange noir, de pierre noire. Est-ce alors si surprenant si le chat noir est un mauvais présage?
Son côté inquiétant nous conditionne depuis la plus tendre enfance. Le monstre qu'on imagine à l'affût dans l'obscurité du placard, la veilleuse qu'on réclame ou la porte qu'on demande à laisser entrouverte quand vient l'heure d'éteindre la lumière...
Cela subsiste dans certaines expressions. "Jeter un regard noir à quelqu'un" n'est pas des plus amical. Et pareil, si vous êtes sur "une liste noire": attendez-vous à quelques déconvenues.
En politique, le noir est également semeur de trouble. C'est l'emblème des pirates qui a été repris plus tard par les anarchistes au XIXème puis par des partis d'extrême droite. Il est d'ailleurs amusant de constater que là encore les deux extrêmes se sont rejoints sur le terrain du choix de la couleur.
Le noir a également souffert de son opposition au blanc. Le blanc de la propreté implique directement le noir de la crasse. Le noir c'est sale, c'est mal. Et pourtant, je peux vous le certifier, il n'y a rien de plus pénible à entretenir que des meubles noirs. La moindre poussière y est visible. Je pourrais passer ma vie à astiquer étagères, bibliothèques, tables et bureau (notez bien la présence du conditionnel!).
On retrouve d'ailleurs cette opposition sur l'échiquier où blancs et noirs s'affrontent (alors qu'à sa création dans l'Inde du VIème siècle, le rouge remplaçait le blanc). Et prenez aussi les chapeaux des cowboys, blanc pour les gentils, noir pour les méchants. Là encore, le noir fait peur. Et Dark Vador? Aurait-il été aussi inquiétant si son costume avait été d'un blanc virginal? (Bon d'accord, Zorro est gentil. Mais il inquiétait les méchants!)
(ndlr : Je fais l'impasse sur le racialisme qui mène aux théories racistes. Il est des portes que je laisse volontiers fermée.)
"Le blanc, c'est l'absence de couleur" diront certains. "Mais non, au contraire, c'est la somme de toutes les couleurs" diront d'autres. Les deux points de vue se défendent dans la mesure où on parle de synthèse additive ou soustractive. Pour ma part, le blanc est une couleur à part entière (au même titre que le noir) avec, comme pour les autres teintes, une symbolique qui lui est propre. Une particularité cependant : le blanc ne fait pas dans la nuance. Ajoutons lui ne serait-ce qu'une pincée d'une autre couleur, et déjà, ce n'est plus du blanc...
Le grand vide du blanc.
Etymologiquement, le mot blanc vient du germanique "blank" signifiant vide. C'est ici l'absence de pigment de couleur qui a primé. Et c'est également cette notion que l'on retrouve dans des expressions comme "une nuit blanche" parce que sans sommeil, "une balle à blanc" qui n'a pas de poudre, "un chèque en blanc" sans montant, et "j'ai un blanc" pour le trou de mémoire.
Du vide à une (pseudo) neutralité.
En temps de guerre, quand ils souhaitaient un cesser le feu, les négociateurs s'avançaient avec un drapeau blanc. Visuellement, ils abandonnaient les couleurs de leur camps et signifiaient ainsi qu'ils étaient prêt à parlementer la paix ou à se rendre. Reconnu comme tel par les accords de Genève, il est ainsi devenu la couleur de la paix (puisqu'il ne représente aucun belligérant). Ce n'est donc pas un hasard, si l'oiseau qui la symbolise est la colombe.
On en parle aussi beaucoup en ce moment, le fameux bulletin blanc lors d'une élection. Un vote reconnu comme vide de sens (alors que...). Là encore, c'est l'absence de pigment de couleur (quand tous les partis politiques ont une couleur emblématique) qui a poussé le blanc vers la nullité. Il ne soutient personne, donc il est nul. Le blanc sert ainsi à exprimer l'absence ou l'abandon de prise de position, ou le consensus.
Pourtant, le blanc n'a pas toujours été synonyme de neutralité. Loin de là. C'était avant tout, la couleur du drapeau du Royaume de France jusqu'en juillet 1830. Très longtemps il a donc servi à symboliser la monarchie. Ce même blanc qu'on trouvait sur les visages de l'aristocratie qui se poudrait (ou plutôt s'enduisait) la face pour montrer qu'elle n'avait pas le teint hâlé des paysans. Puis les travailleurs ont rejoint l'ombre des usines. Les bourgeois sont alors partis se faire dorer la pilule au soleil. Mouvement inverse avec l'apparition des congés payés et la facilité des transports, le soleil est à porté de tous et le bronzage excessif devient vulgaire pour ceux qui le glorifiaient.
Le blanc a également permis l'opposition entre les classes de salariés avec les fameux "cols blancs" qui contrastait avec le bleu des salopettes des ouvriers...
Pas si neutre que ça en fait...
Si j'avais du donner une couleur à la pochette du 45 tours (si, si, rappelez-vous, le truc qui servait à écouter de la musique avant les CD et les mp3) de Brassens "La mauvaise réputation", j'aurais sans hésiter trempé mon pinceau dans du jaune. Car s'il est une couleur mise à l'index, c'est bien celle-ci.
Du moins aujourd'hui dans les pays occidentaux. Car chez les Romains, ou dans un passé moins lointain, en Asie ou en Amérique du Sud, on ne rechignait pas à en porter sur soi. Là-bas, il peut être symbole de pouvoir, de richesse, de sagesse et de courage. Alors qu'ici, il désigne l'homme qui trahit, les photos vieillottes, ou la mort de la nature à l'automne...
En fait, chez nous, le jaune a été dépossédé de ses valeurs positives pour ne garder que les mauvais côtés. Autrefois, il symbolisait le soleil et par association la vie, la puissance et la vigueur. Mais au Moyen-âge, ces notions ont migré vers l'or qui s'est mis à occuper avec les dorures la place que le jaune occupait aussi bien dans les arts que dans l'habillement. Progressivement, le jaune est devenu l'or du pauvre, un ersatz. On porte du jaune quand on n'a pas les moyens de porter de l'or. Et puisque c'est une couleur qui se fait passer pour de l'or, il a finit par incarner la duperie et la traîtrise.
Au XIIème dans les peintures, c'est Judas qu'on affuble d'une robe jaune. Et ce n'est certainement pas pour son caractère solaire !
Dans le même registre, est-ce pour ces notions que le régime nazi a instauré l'étoile jaune pour désigner ceux considérés comme des traîtres à la nation ? L'étoile de David est communément bleue pourtant. Les vêtements de cette époque étant plutôt sombres, la clarté et la visibilité du jaune ont certainement du jouer dans ce choix.
Toujours dans l'infâme, comment appelle-t-on le briseur de grève à la solde des vilains patrons? Un jaune!
Ajoutons à cela le tristement célèbre "jaune cocu". Là pour le coup, ce n'est plus le/la volage qu'il désigne mais celui/celle qui a été trahi(e)...
Dernière couleur de la trilogie RVB, le vert est celui qui nous manquait.
Allez, je vous le dis d'emblée. Moi, c'est une couleur qui m'a longtemps traumatisé. A l'âge des culottes courtes, je m'entendais dire dans les cours de récré "il a des yeux verts, il a des yeux de vipères". Alors que les yeux bleus étaient les yeux d'amoureux... Bref, le vert et moi, on a mal commencé.
Le vert n'a d'ailleurs pas été la couleur "positive" qu'elle peut parfois être aujourd'hui. Même si en teinture, il a toujours été facile de produire des coloris vert grâce à de nombreux végétaux, le stabiliser a toujours demandé un savoir faire particulier. Au Moyen-âge, les colorants verts accrochant mal aux fibres, ils avaient tendance à donner un aspect délavé rapidement. Les peintres avaient également le même problème. Les teintes de vert composées avec des poireaux ou des épinards s'estompaient rapidement à la lumière. Et pareil sur les anciennes photographies des années 60, le vert est encore le premier à se faire la malle. Pas étonnant donc, qu'il soit donc devenu la couleur de l'instabilité.
Et puis les concepts évoluent et s'élargissent. Qui dit instabilité, dit mouvement. Le Vert devient la couleur de ce qui est changeant, et par extension du hasard, et donc du jeu et de la chance et finalement de l'espoir.
Ce n'est donc pas une surprise si dès le XVIème, les tapis des casinos sont de cette couleur. Puis avec l'or qui devient trop clinquant et ostentatoire pour les protestants, le vert s'approprie non plus seulement les tapis de jeu, mais également l'argent qui est posé dessus. Le vert représente alors la finance en général. L'exemple le plus significatif étant le fameux "billet vert" américain.
Après la force du Rouge, nous risquons de passer d'un extrême à l'autre avec le Bleu.
S'il figure en bonne position parmi les couleurs préférés des occidentaux (et je ne fais pas exception sur ce point), il n'a pas toujours joui de ce statut.
Absent des grottes de la préhistoire, des palettes des premières techniques de teinture, il doit aussi se faire une raison sur sa discrimination dans l'Antiquité et le début du Moyen-âge où seuls le blanc, le rouge et le noir sont considérés comme des couleurs. Heureusement dans l'Egypte des Pharaons, il tient sa revanche. On lui accorde alors des vertus de porte-bonheur dans l'au-delà et il orne les bijoux précieux des nobles et des pharaons. On le retrouve ainsi sur les hiéroglyphes dès qu'il s'agit de représenter une divinité. Le lapis lazuli tire de là sa côte actuelle et les symboles qu'il véhicule.
En Europe, il faut attendre la fin du XIIème pour que le bleu quitte la clandestinité grâce à une intervention divine! Dans la bible, on ne faisait référence au bleu qu'à travers le saphir. Mais lorsqu'au XIIème on commence à considérer que Dieu est une lumière qui habite le ciel, on voit alors apparaître cette couleur sur les tableaux. Et progressivement, les représentations de la Vierge Marie vêtue d'un manteau ou d'une robe bleue sont de plus en plus fréquentes.
C'est pourquoi les églises rénovées à cette période le sont avec des peintures et vitraux de cette couleur, pour en arriver au célèbre Bleu de Chartres.
De barbare, le bleu devient divin !
Bien entendu, la monarchie ne tarde pas à s'en emparer et Philippe Auguste puis Saint-Louis s'empressent de l'adopter. Et à leur tour toute l'aristocratie et son "sang bleu" où il devient la couleur à la mode.
J'avais eu à réaliser une affiche pour un salon du luxe. Spontanément, j'avais choisi un fond noir. J'ai d'abord été surpris par la demande du client d'opter pour un fond turquoise. Je trouvais ça trop vif et violent pour un salon du luxe. Puis j'ai compris que le turquoise était finalement très proche du bleu roy... Je continue néanmoins à penser que le noir aurait été plus approprié. Nous y reviendrons ultérieurement.
S'il est une couleur forte, c'est bien celle-ci !
Alors à tout seigneur, tout honneur, commençons par le Rouge.La première évidence est l'association avec le sang. De là, découle nombres d'influences sur notre perception. Le sang qui coule dans les veines donne au rouge sa réputation de couleur de la vie, de l'action. Et d'un autre côté, le sang que l'on fait couler lui confère des notions de pouvoir et de violence. Mars, Dieu de la guerre était souvent représenté vêtu de rouge dans l'Antiquité. Et tout au long de l'histoire, cette couleur a souvent été liée à la classe dominante. On la retrouve chez les Empereurs romains, les cardinaux, mais aussi les bourreaux du Moyen-âge et les magistrats... Et pour ce qui est de la violence, demandez donc au taureau de quelle couleur est la muleta!
Couleur de la force et de la puissance? Assurément! Regardez les ceintures rouges de karaté et de judo. Elles sont au-delà des ceintures noires. Et les voitures de sports. Si elles sont rouges, elles en jettent davantage (enfin, pour ceux qui sont sensibles aux automobiles).
De la force à la rébellion : on retrouve par analogie cette couleur sur l'étendard des révolutionnaires et des communistes...
J'avais fait un logo pour une société immobilière. Après des heures de palabres, ils avaient décrété que s'ils aimaient beaucoup son aspect, ils ne le trouvaient pas assez conquérant. Et bien il m'a suffi de le passer du noir au rouge pour obtenir l'adhésion du client.
Et puisque nous parlons logo, le rouge est la couleur de la facilité pour les graphistes. Un logo rouge sera aussi bien visible sur fond blanc que sur fond noir. Inutile alors de tomber maintes déclinaisons. C'est un plus pour une marque qui ne veut pas brouiller son identité visuelle avec différentes versions. Ce n'est pas pour rien si beaucoup l'ont choisi.
Il paraîtrait que certains animaux voient en nuances de gris. Sincèrement, je les plains. Ne dit-on pas "la couleur, c'est la vie" ?
Mais comme les fleurs, les couleurs ont leur langage et leur symbolique. Aussi en choisir une relève parfois du casse-tête. Et pas que pour les professionnels. Qui n'a jamais gambergé des heures à faire des centaines d'essais pour habiller le fond de sa page sur le net ?